l’enveloppe


 introduction
je vais vous raconter une histoire
l’histoire d’albert et d’une enveloppe qu’il n’aurait pas jamais dû ouvrir et d’une lettre qu’il n’aurait jamais dû lire
cela commence quelque part dans ce pays à la grenette petit bistrot au milieu du village à côté de l’épicerie et en face de l’église
un jour dont on a oublié la date

la grenette
– salut syndic… tu tombes à pic …qu’est-ce que c’est que cette histoire d’éteindre les lumières la nuit pour pas effrayer les bestioles ? demande le françois
– bonjour messieurs… tu permets que je me débarrasse et que je prenne place ?
– ouaih ! mais avant grouille-toi de commander … i’fait soif ! lui rétorque françois
on est à la grenette, « chez fernande »  que c’est écrit sur le mur de la façade jaune caca  à côté du nom  « café de  la grenette » écrit en grandes lettres de couleur ocre 
fernande c’est la femme de fernand le syndic qui est aussi vigneron 
 il est assis à la table ronde des menteurs située au fond du bistrot juste devant le bar
autour de la table il y a le fernand qui vient d’arriver, il y a l’albert monachon qui a marié le rolande, le français joly  qui a épousé agathe  la sœur de la rolande,  qui est beaucoup moins jolie, le riquet le cantonier et môsieur edmond le notaire qui se veut distingué
nos cinq gaillards ont l’habitude de se retrouver tous les jours sauf le lundi car la grenette est fermée le lundi et sauf le dimanche bien sûr car on reste en famille
on est en hiver, il fait froid alors l’apéro de six heures a été avancé à cinq heures
en principe ils sont tous là à refaire le monde et parfois ça pedze et même on va jusqu’à se taper une fondue surtout le françois qui n’est jamais pressé de rentrer pour rejoindre sa gueïpe
c’est qu’il n’a pas de chance le françois
son agathe de femme est toujours en robe fourreau, les cheveux en chignon et toujours une méchanceté dans la bouche
il faut dire qu’elle fréquente assidument la réunion des dames de la couture qui se réunissent tous les mercredi après-midi à la cure et elle se plaît à redzipéter toutes les histoires qu’elle entend en y ajoutant ses commentaires ce qui fait que celles-ci sont toujours bien différentes de celles racontées à l’origine
si le fernand a mis son beau costume de député, car il est aussi député le fernand, l’albert et le françois sont en salopettes bleues  de travail, le riquet a revêtu son habit de cantonnier avec tout plein de machins qui t’éblouissent quand tu éclaires dessus et môsieur edmond son habit gris de notaire avec sa cravate bleue
en entrant, chacun a suspendu son pardessus, sa veste ou son manteau, sa casquette, son bonnet  ou son chapeau à la patère
– dis donc albert t’as eu un prix de gros chez landi en achetant la même veste que le françois ?
tu aurais dû demander qu’il marque ton nom dans le dos comme les footballeurs pour reconnaître ta veste ?
– pas besoin, la mienne a les marques du travail ! qu’il répond en rigolant
– ouaih mas la mienne n’a pas de trous aux poches ! s’exclame le françois en faisant allusion aux côtés un peu rappe de l’albert
la grenette est un bistrot où on rigole, où les gens sont de bonne humeur, où on peut y manger la cuisine de la fernande qui peut rivaliser avec celle de restaurant comme c’est écrit sur leur devanture et qui n’ont souvent de restaurant que le montant de l’addition
cinq tables carrées pouvant accueillir quatre personnes chacune et une grande table pour six ou huit si l’on met une personne à chacun des bouts meublent l’unique salle du lieu avec une seule  table ronde avec un plateau épais taillé dans un des derniers vieux et immenses  sapins de la forêt du village
c’est le  père de la fernande qui l’avait faite cette table et cette table est réservée aux menteurs dit-on
non pas que les gens du village  soient des menteurs
en fait, on y mange pas sur cette table
on boit l’apéro, on trinque, on discute de politique, on cause de choses et d’autres, on prêche le faux pour connaître le vrai, on redzipète ce que les femmes ont  appris à la couture, à la gym ou au chant, on scelle un accord, on se réconcilie
mais à chaque fois autour d’un verre de vin… enfin un verre ?
– c’est une histoire des gens de la ville que répond le fernand 
– il est vrai, s’aventure môsieur edmond avec sa voix haut perchée, qu’une récente étude que j’ai lue dans la julie montre que les animaux sont sensibles à la lumière artificielle, à l’éclairage des rues et aux phares des voitures qui peuvent les perturber 
– et ces conneries ça nous perturbent pas… peut-être ?  coupe le riquet, c’est pas leurs poules que le renard vient bouffer !
– t’as qu’à faire comme en ville, ajoute l’albert, t’as qu’à les mettre sous un lampadaire
et tous de rire de bon cœur sauf môsieur edmond qui n’a pas compris l’allusion
– et les verts… on les préfèrent avec des demis de blanc… santé !
et tous de trinquer ainsi de verres en demis et de demis en verres 
– bon assez pintoillé, sortez vos gniafs et au dodo, les apostrophe la fernande
– tu nous fouterais dehors par ce temps, t’as vu la peuffe qu’il y a ? lui demande le françois
– ah mais vous êtes de vraies pedzes ce soir répond la fernande et je ne vous fous pas dehors mais c’est l’heure de fermeture et mon syndic de mari ne va pas s’opposer au règlement de commune !
et n’oubliez pas vos vestes et vos couvre-chefs, il fait une de ces cramines
dehors il fait tout nuit de quoi épouairer les plus craintifs
ça fricasse à te foutre la débattue
la brume dessine des halos autour des réverbères et transforme l’église en ombres menaçantes
chacun prend une direction différente mais correspondant à leur habitation et disparaissent dans  la nuit
on a bien ri comme souvent à la grenette 
en rentrant, heureux de ce moment, ils ont le sourire et même rient tout seul se rappelant une histoire ou une réplique de cette soirée
arrivé devant chez lui, l’albert s’encouble sur la marche du trottoir
– dis donc se dit-il je marche un peu de trabiole ce soir, aurait-on exagéré ?
approchant de la porte d’entrée, une lampe s’allume automatiquement
heureusement qu’il a installé ce dispositif c’est rudement pratique d’y voir clair
mais il faut encore ouvrir la porte
il met la main dans sa poche de veste pour prendre ses clés
elles ne sont pas là
il recherche dans sa tête ce qu’il a bien pu faire de celles-ci, il essaie de visualiser le parcours de sa main quand il a fermé la porte de chez lui mais c’est aussi flou que dehors avec cette brume
tout à coup un éclair, elles sont dans sa poche de salopette
mais qu’est-ce qu’il y avait dans ma veste ? se demande-t-il
il remet sa main qui touche un bout de papier, en fait une enveloppe
tout en entrant chez lui, il la tire dehors 
– c’est toi ? lui demande une voix féminine un peu étouffée s’étant frayé un passage depuis l’étage du dessus où il y a la chambre à coucher
– qui tu veux que ce soit ? lui répond-il ironiquement
et il regarde l’enveloppe qu’il a dans la main
il y a quelque chose d’écrit dessus… l’adresse ?
« à mon françois » que c’est écritet c’est l’écriture de sa rolande et c’est la veste de son ami françois qu’il vient de quitter
merde, il s’est trompé de veste en sortant de la grenette
il dormira très mal cette nuit-là, même s’il n’a pas lu la lettre qu’il y avait dans l’enveloppe

la table des menteurs
– bon qu’est-ce que tu disais… ah oui les bestioles… ‘y a des communes qui font des essais mais cela concernent les villes et  les communes à côté des forêts ou en rase campagne
– c’est une combine des verts ? demande le riquet
– cela ressort d’une étude ajoute monsieur edmond mais je crains que ce soit surtout pour économiser sur la facuture de l’électricité à cause de l’annonce du conseil fédéral au sujet de « balck out » sur l’énergie qu’on risque de connaître dans quelque temps
– ben dis donc françois, cela devrait t’arranger qu’on éteigne la grand rue quand tu vas chez la marie ?!
– ouaih… répond le françois et si on commandait…
– à propos de villes coupe le syndic fernand j’ai rencontré ce matin le chinois qui a construit où il y avait la maison du germain à la sortie du village
– excusez-moi fernand, intervient mòsieur edmond, mais ce chinois comme vous dites est aussi vaudois que vous, son père s’appelait bolomey et il a épousé une dame taïlong de bangkok
– ouaih bon, continue le syndic, toujours est-il qu’il m’accoste dans la rue eet me demande si les deux horloges de l’école et de l’église ne pourraient pas sonner ensemble à la même heure et non pas avec une minute de décalage surtout dès 6 heures du matin ! il m’a même proposé de créer un machin pour ton téléphone portable ainsi ceux qui veulent entendre les cloches les entendraient et ceux qui veulent pas ne les entendraient plus
– tu devrais en parler au pasteur rétorque albert en riant
– i’ sont bizarres ces gens appond le françois ma femme m’a raconté que sa barbie, ben ouaih c’est une fausse blonde, avait invité la couture à boire le thé chez elle et elle voulait leur demander de faire une pétition pour marquer une place de parc devant l’école afin de déposer les enfants !
– je t’crois dit le riquet quand tu la vois avec son cheyenne frôler les murs dans les rues du village tu te demandes où elle a eu son permis
– pas son cheyenne, mais sa porsche cayenne le corrige l’albert
– mais tu te rencontres amener ses enfants de la maison à l’école en cayenne alors qu’ils habitent à deux cents mètres !
et on parle de tout, du temps qu’ il fait et qui fera, des stocks encore en cave, des affaires des autres mais pas des siennes,  de la vigne
au troisième demi, il se fait tard
on paie, on se lève et on se prépare à rentrer chez soi
chacun se dirige vers la patère et prend sa veste, sa casquette
on se dit à demain
la fraîcheur de la nuit saisit les convives 
on rentre la tête dans les épaules et chacun se dirige chez soi… enfin presque

le syndic fernand
le fernand, comme l’albert, le françois, le riquet  et l’edmond est un enfant du village
il a fait ses écoles ici aussi 
à l’époque, le régent s’occupait de tous les enfants du village jusqu’à la sixième
ils étaient tous ensemble dans la même classe
c’était pas triste
après ils allaient au village d’à côté où il y avait un grand collège
la plus part des garçons avaient des boguets, les filles aussi mais les leurs n’étaient pas maquillés
puis il y avait les apprentissages
certaines filles, comme la fernande ont été faire une école où elle apprenait à faire tout plein de choses ménagères
certains garçons allaient aider leurs parents à la vigne en pensant qu’ils deviendraient des vignerons comme leur père et le père de leur père
le père du fernand avait un petit domaine
fernand l’aida au début puis alla faire une école de viticulture après son école de recrue
aujourd’hui, il est œnologue mais il a repris la vigne de son papa lors de son décès
ainsi, il travaille pour presque tous les vignerons du village et de la région en prodiguant des conseils pour l’élevage de leurs vins
connaissant tout le monde il est devenu syndic du village puis député
c’est qu’il avait rencontré beaucoup de gaillards de la ville durant son école de recrue et en discutant avec eux il a compris très vite que s’il voulait que ces amis vignerons soient défendus il fallait que quelqu’un se dévoue pour faire entendre leur voix
sinon on ne règlerait que les problèmes des villes sans se soucier de ceux des villages et encore moins ceux des vignerons
on l’aime bien car il n’y a jamais de problèmes avec lui que des solutions qu’il dit
il a le plus petit domaine du village ce qui lui permet d’assumer la tâche de syndic dont il a le profil
pas celui de l’internet mais celui des histoires de gil
comme beaucoup de jeunes au village, il passait beaucoup de temps à la grenette, il en pinça très vite pour la bouèbe des patrons
et quand il a réussi son école de viticulture et obtenu son diplôme d’œnologue, les parents de la fernande acceptèrent qu’ils se marient 

la vigne
-taisez-vous le voilà dit une voix profonde et grave comme venue du fin fond de la terre
-mais je te dis qu’il m’a raté et cela ne lui ressemble pas
– c’est vrai qu’il a changé depuis quelques temps, il ne chante plus, il ne siffle plus, il est gronchon et il jure renchérit une autre voix plus petite et timide
– cela fait plus de 25 vendanges que je suis là et c’est la première fois que je le vois comme ça
raconte un cep tout tordu avec un gros bras noir qui se dirige vers la droite sur lequel on voit quelques petits bouts plus clairs
– c’est quoi une vendange demande une petite voix aussi petite que son tronc qu’on le voit à peine
il faut dire qu’il est de couleur très claire
– c’est vrai que t’es là depuis peu de temps 
quand tu seras plus grand et fort comme moi et que t’auras pris des couleurs tu auras des fruits au bout de tes sarments que des gaillards viendront te prendre pour les mettre dans des caisses jaunes
c’est ce qu’on appelle la vendange et qui nous sert de repaire pour notre âge
– ouaih mais moi j’ai déjà eu des fruits dis la petite voix
– bien sûr, mais c’étaient les premiers et cela veut dire que cela fait trois ans que t’es ici
– tu vois le grand noir là-bas en face ?
c’est le plus ancien de la ligne, cela fait plus quarante vendanges qu’il est là et tu verras quand les salopettes grises avec les badges noirs sont là devant lui, ils se parlent
– c’est un espion qui redzipette ?
– mais non ! topio il observe tout le monde et il sait qui est malade alors il le lui dit et ainsi il peut nous soigner
-taisez-vous le voilà dit une voix profonde et grave comme venue du fin fond de la terre
de loin on entend sa pétarade
on dirait qu’entre chaque pétée le moteur va s’arrêter
les ceps vérifient leur alignement pour faire bonne impression car ils l’aiment bien l’albert
ils savent qu’il vient pour leur bien
ça caille déjà ce matin
le boucan s’étant tu, le silence revenu ils entendent le joyeux sifflet de l’albert
car il est content l’albert de retrouver ces ceps, ces enfants
il descend de son tracasset, s’étire un peu car c’est pas très confortable le siège qu’il a
bricolé avec une planche
il regarde son charmus, dévisage chaque cep et se dirige vers son vieil ami
il a au moins quarante vendanges
c’est vers lui qu’il va aux nouvelles
du regard il l’interroge regarde la taille qu’il a effectuée la semaine passée le touche délicatement comme s’il voulait lui faire une caresse
– fait froid ce matin ? je vais un peu plus loin car je n’ai pas fini la ligne mais t’as tout le temps
on est qu’en février et les beaux jours arrivent dans un mois
prends soin de toi
l’autre ne lui répond pas engourdi qu’il est et il n’a pas envie de parler mais il est content des mots de l’albert
ce dernier reprend son labeur armé du sécateur électrique 
à chaque cep il se penche telle une révérence, observe bien les sarments au départ du mognon et décide de celui qu’il gardera comme porte fruit
il coupe les autres et les tire en bas dessous les pose entre les lignes
il passera la broyeuse plus tard
ainsi tous les mètres environ, il répète ce travail
de temps en temps il s’arrête, debout, et il lui parle
– j’espère que t’auras des sarments plus gros cette année 
ou 
-il faudra que je te surveille car on dirait que t’as la maladie
 ou bien encore- alors le nouveau on a de la peine
et parfois
– ton bras qui sert de porte fruit est un peu mou, je vais te le couper et on va repartir avec un nouveau … non tu ne vas rien sentir et tu seras tout content de mon travail au printemps fais moi confiance
mais aujourd’hui, il  ne sifflait pas
il est descendu de son tracasset et s’est dirigé directement vers son vieil ami
– qu’est-ce qui va pas ? lui demande une voix profonde et grave comme venue du fin fond de la terre
 -j’ai trouvé quelque chose et cela m’embarrasse
-tu veux en parler ?
-j’sais pas, il faut que je sois sûr … cela me rebouille 
-tu veux en parler
-j’sais pas… c’est personnel j’te dis
-alors comme tu veux… au boulot… tu vois en face le petit nouveau 
il faudrait lui parler pour le rassurer, il est impatient de connaître sa première vendange
mais l’albert n’a pas envie de travailler tout de suite il veut en parler à son vieil ami
– hier soir on a fait  un peu viguétze chez le fernand et j’en tenais une belle et comme j’avais de la peine à tenir sur mon trabeset jai mis fin à la verrée
en partant je me suis trompé de veste et j’ai pris celle du françois qui est la même que la mienne
en voulant prendre mes clés dans la poche de côté j’ai trouvé une enveloppe
j’ai pas compris tout de suite qui m’a mis une enveloppe dans ma poche
puis en réfléchissant ne trouvant pas mes clés j’ai compris que je m’étais trompé de veste
par curiosité j’ai sorti l’enveloppe et j’ai lu ce qu’il y avait d’écrit « à mon françois »
et là j’ai pris un coup quand j’ai reconnu l’écriture de ma rolande
– y a de quoi monter les tours, non ?
et non je n’ai pas encore lu ce qu’il y avait dedans

tire les bois
– eh salut monsieur edmond qu’est-ce que tu fous là ? tu cherches du travail ?
– excusez-moi monsieur albert, mais je vous entends toujours parler de la vigne et du travail que cela demande que je désire savoir ce qu’il en est
j’ose pas le demander aux autres de peur qu’ils me moquent
– bon c’est simple
tu vois une fois qu’on a fait les vendanges, on laisse reposer la vigne jusqu’à ce qu’elle
perde ses feuilles
alors on passe à la pré-taille
ce que j’ai fait il y a quelques jours
viens par là je vais te montrer dans le charmus en bas dessous
-c’est quoi un charmus
– c’est un bout de vigne qui est délimité là tu vois il y a le ruisseau en haut dessus le mur
et de l’autre côté il y a les grands piquets qui finissent la ligne et là c’est le chemin où nous sommes
ben le charmus c’est toute la vigne qui est entre ces limites, mais ça peut être plus grand ou plus petit
bon là on est en guyot, c’est que les pieds de vigne sont placés entre les grands piquets sous les fils
tu vois il y a le premier fil en bas puis trois fois deux fils
sur le premier fil on fixera le porte- fruits avec une bague ou avec un scotch on a une espèce grande agrafeuse pour aller plus vite 
ouaih bien sûr que ça se fait au printemps !
mais reprenons où j’en étais
tu vois je prends cette pré-tailleuse ou comme tu dis ce grand couteau
ça marche avec un petit moteur 2-temps 
bien tiens ça pèse quelque cinq kilos
bon quand je fais ça je mets des pamir ben tu sais ces machins que l’on se met sur les
oreilles à cause du bruit
et attends il va y an avoir
t’as vu tu coupes les sarments tout brun et secs juste en dessous du quatripme fil sur toute la longueur de la ligne
ben oui le soir tu sens tes bras et t’as le dos qui siffle
bon en principe je fais quelques lignes et puis je me mets à la taille comme ça attends je te montre
et puis après ça on tire les bois c’est à dire qu’on enlève tous les sarments qui ne servent plus à rien
ouaih c’est sportif tu vois ils sont pris dans les fils et tu dois toujours jouer du sécateur pour défaire ce fouillis
et ici où la vigne est en pente douce on les mets entre les lignes et après on passe la broyeuse
où c’est en pente on les enroule autour des pieds ce qui retiens la terre
bien entendu, il y en a d’autres qui les mettent sur le feu là-bas
ah tu croyais qu’on laissait les sarments et que ça repoussait chaque année !
ben un peu mon neveu que c’est du boulot !
mais la vigne c’est du boulot tout le temps
la cloche de l’école se faite entendre
t’as entendu, c’est les quatre chiffres viens on va à la cave on boira un coup mais avant on goûtera le nouveau à la cuve
et puis tu vois des fois je lui cause à la vigne des fois je l’engueule alors quand je tire les bois cela me permet de lui parler et de veiller sur sa santé
mais il ne lui dit pas qu’en ce moment il pense aussi à la lettre

le françois
c’est un beau et bon gaillard… quoi que…
encore aujourd’hui il a bonne façon et une bonne bouille
jeune, c’est lui qui avait du succès auprès des filles et pas seulement auprès de celles du village il était connu loin à la ronde
quand ils allaient au bal avec l’albert , son ami de toujours, petits déjà, ils étaient amis pour le pire et le meilleur mais surtout le pire, ils n’étaient pas entrés dans la salle que le françois dansait déjà avec la plus jolie qu’il essayait de tchuffer
ça agaçait un peu l’albert qui allait se consoler au bar
de fois il s’attardait avec des copains et il rentrait tout de bizingue avec une demi-canfrée
et un jour, à la fin du bal, le françois s’embarqua avec l’agathe qui n’était pas la plus jolie mais la plus avenante…
quelques temps plus tard son père disait de lui qu’il avait la tête dans le sac et qu’elle n’avait plus qu’à tirer les ficelles
mais il dut faire son école de recrue et un dimanche de congé il la serra un peu plus fort que d’habitude
un petit jean-louis plus tard ils étaient mariés et heureux…
il repris le domaine de son père et la moitié de celui de l’agathe
comme l’albert avait reçu l’autre moitié de la rolande, ils étaient voisins de vigne
le françois n’avait pas perdu de sa fougue alors que l’agathe consacrait tout son temps au
petit jean-louis
alors le françois profitait de ses tournées chez les clients pour sortir un peu et vendre ses vins et aussi ceux de son ami albert qui lui aime pas trop ce commerce
depuis quelque temps il va toujours chez le même client à la ville 
d’ailleurs c’est assez drôle car chaque fois qu’il y va de « chez lucy » il y a un panneau sur la porte d’entrée qui indique que c’est le jour de fermeture
des fois, le soir quand il sort de « la grenette » et qu’il fait nuit noir dehors il ne traverse pas tout droit pour aller chez lui mais longe la grand rue pour aller chez la marie qui est veuve depuis quelques temps déjà
-eh monsieur edmond tu vas te prendre un coup de froid
-non comme je le disais lors de ma rencontre avec monsieur albert tout à l’heure, je m’intéresse à ce que vous faites
-ben c’est le moment depuis le temps que tu nous fréquentes
-je remarque que les ceps sont différents de ceux de monsieur albert ?
-non c’est les mêmes, mais chez l’albert c’était du guyot alors qu’ici c’est du gobelet
je t’explique : avec le guyot les sarments poussent entre les fils alors qu’ici avec le gobelet on attache les sarments autour du piquet que tu vois là et regarde là j’ai une attache c’est ce bout de fil de fer qui se termine par une boucle à chaque bout et que l’on croche ensemble
tu vois comme ça
-et je remarque que vous coupez les sarments mais que vous ne le jetez pas par terre comme monsieur albert ?
-ouaih par ce qu’ici on est sur un sol caillouteux alors la broyeuse ne fonctionne pas et on est trop en pente
alors on fait des fagots que je porte ensuite sur le gros feu en dessus la vigne près de la
capite
-mais mon grand père racontait que la taille devait se faire fin mars début avril et là on est en janvier ?
-ben si on commençait à tailler en mars ou en avril on aurait pas fini aux vendanges !
quand t’as un petit charmus comme avait ton grand père tu pouvais le tailler à fin mars mais avec le domaine qu’on a on commence en janvier pour finir en mars c’est qu’il faut compter avec la neige, la pluie et le froid
on laisse un bout de sarment comme un grand doigt pointé vers le ciel comme pour interpellé l’autre là-haut
puis dès avril on vient placer ce doigt le long du fil d’en bas, on dit qu’on palisse et on le fixe avec une espèce de grande agrafeuse mais avec des bouts de plastique rouge à la place d’agrafes en fer
bon c’est pas tout mais c’est les quatre chiffres qui ont sonné !

l’agathe
jeune, elle a toujours eu un faible pour les garçons
à l’école, elle aimait bien y aller car il y avait les petits et les grands dans la même classe
elle choisissait toujours de s’asseoir à côté d’un plus grand et plus âgé qu’elle
très tôt et plus vite que les autres filles de la classe elle avait déjà des formes qui soulevaient légèrement sa blouse ce qui intriguait les garçons
plus tard quand elle allait au bal, elle mettait toujours des robes qui mettaient en valeur ses formes qu’elle savait élégantes et attirantes
elle connut beaucoup de garçons et puis il y eu le françois…
au début de leur mariage, elle aidait le françois à la vigne
elle aimait bien les effeuilles, un peu moins de tirer les bois et pré-tailler les gobelets
aujourd’hui elle a laissé ses aubades pour des sloogi grandes tailles, ses robes avec la fermeture éclaire dans le dos qui descendait jusqu’au bas des reins pour une robe fourreau avec deux poches et des boutons sur le devant
elle ne va plus chez le coiffeur, elle s’est fait un petit chignon
aujourd’hui que le français a engagé un ouvrier, elle s’occupe du ménage et fait la cuisine
le jeudi après-midi elle a les dames de la  couture et le mardi soir le chant
et puis le mercredi il y a la gym
l’agathe est au courant que son françois profite de ses activités sportivo-culturelles
elle s’en fout elle a son jean-louis même si celui-ci commence à sortir aussi et ça lui suffit
bien sûr il y a aussi la mathilde sa fille mais son jean-louis est à la ville où il étudie tant dis qu’elle, 
elle est à la vigne avec son père, elle adore ça  et elle pense à reprendre la succession de
son père qui dit qu’elle est douée 
son parrain l’albert est du même avis et souvent en fin de journée il lui explique les secrets de la cave
mais elle a aussi un secret la mathilde, elle connaît bien le françois-albert, même très bien
elle en a parlé avec la seule personne en qui elle a confiance pour ce genre de chose, sa
marraine la rolande qui n’est pas une batoille comme sa mère

la fernande
c’est aussi une enfant du village
la plupart de ses clients elle les connaît depuis l’école
elle est toujours élégante, mince, avec quelques formes généreuses qui font plaisir à son époux le fernand 
d’ailleurs quand on les voit ensemble les rondeurs de l’un font contrastent avec l’élégance de l’autre qui ne laisse paraître que les ondulations de sa sensualité 
ils se sont mariés sur le tard c’est pourquoi ils n’ont pas d’enfant
la fernande est toujours de bonne humeur
elle accueille tous ses clients même ceux qu’elle ne connaît pas avec le même sourire et la même gentillesse
commerçante, elle connaît tous les vins des vignerons du village et des alentours
chaque semaine, elle propose ceux d’un vigneron à tour de rôle et elle choisit des mets qui vont avec
c’est elle qui fait aussi la cuisine et elle l’a fait bien 
d’ailleurs son mari de syndic en est son meilleur ambassadeur surtout de profil !
dans sa cuisine il n’y a jamais de chenit 
tout est niquel et bien réduit les casseroles et les cassotons à fondue sont alignés sur le grand tablard les provisions et les légumes dans le cagnard où il y a aussi le congélateur et un grand frigo
elle est le chef, le second et le casserolier
des fois il y a une amie, la germaine, qui au lieu de barjaquer au café, lui donne un coup de main quand il y a le coup de feu surtout les jours du papet où la grenette affiche complet car il y a même des gens de la ville qui viennent manger
et même si tu as le boyau droit tu as toujours assez à ruper

le riquet
il est aussi un enfant du village
tout petit déjà il aimait bien la germaine qui habitait à côté de chez ses parents
comme ceux-ci travaillaient pour les parents de la germaine cela lui permettait de la voir presque tous les jours
mais il a suffit qu’il parte à l’école de recrue pour que le fils de l’épicier en profite pour lui conter fleurette et la tchuffer ce qu’il n’avait pas fait à cause de sa timidité
à son retour, décidé à lui avouer son amour, il se fit éconduire par la mère de celle-ci
sa fille méritait mieux qu’un fils d’ouvrier
alors le riquet quitta le village 
il n’y avait plus d’attaches, ses parents étant décédés entretemps
il alla à la ville et y travailla comme jardinier
le temps passa
un jour qu’il s’affairait autour des platebandes de la maison de commune, il entendit une
voix chaleureuse qu’il l’appela par son sobriquet
– mais.. c’est toi riquet ?
il se retourna et reconnu aussitôt son vieux copain d’école le fernand
ni une ni deux il laisse son râteau et les voilà autour de trois à la table du café de la place
– ça va ?
– ouaih moi ça va… pis toi ?
– bon ça va quoi
– qu’est-ce que tu deviens ? qu’est-ce que tu fous ? on ne t’a pas revu au village !?
– ben tu vois… trop de mauvais souvenirs
– tu savais que la gemaine a perdu son mari ? et elle continue avec le magasin mais je crois bien qu’elle cherche de l’aide
– si c’est de l’aide cela ne m’intéresse pas dit le riquet du tac au tac en riant
et le fernand de lui annoncer qu’il y a bientôt l’abbaye et qu’il y aura bal et tout et tout
et en plus, on cherche un cantonnier à la commune
c’est ainsi que le riquet put enfin dire à la germaine tout ce qu’il y aurait dû lui annoncer avant de partir à l’école de recrue
il accepta le travail à la commune et la germaine accepta la main du riquet

la rolande
depuis le premier jour qu’elle l’a vu chez son père elle est tombée amoureuse de l’albert surtout depuis ce jour où il s’est fait engueulé par son père car il avait fait une connerie
puis ils se sont fréquentés quelques années avant de passer devant le pétabosson
elle aidait souvent son mari à la vigne
un peu moins depuis que l’albert a engagé un aide qu’il partage avec le françois
un jour qu’elle était venue leur apporter les quatre-heures, elle s’encoubla sur un marche branlante de l’escalier qui relie deux charmus et déguilla pour s’éclaffer entre le mur et la première ligne en poussant une bouèlée qui interpella l’albert
il resta un moment allongée et beau raide ce qui effraya l’albert qui arrivait auprès d’elle tout épouairé
il lui tapota la joue 
elle ouvrit les yeux 
elle était tout patraque et avait mal à la piaute
délicatement il l’a souleva et l’aida à marcher jusqu’à son tracasset
à la maison elle mit un blètse sur le genou et s’allongea au salon
malgré son inquiétude l’albert retourna à la vigne 
et depuis ce jour la rolande ne s’aventura plus dans la vigne sauf au clos de bulle qui était à plat
aujourd’hui, elle s’occupe du bureau, des clients et du ménage 
son fils françois-albert étant parti à la ville pour s’occuper de son garage
elle est toujours amoureuse de son albert même si elle lui en veut un peu de ne plus parler à leur fils françois-albert
toutefois, elle ne désespère pas de changer les choses surtout après ce que lui a dit la mathilde sa filleule

la marie
c’est une amie du françois
elle est veuve depuis très longtemps
son mari travaillait au cff comme cantonier et un jour il a pas vu un train
comme elle encore jeune et désirable et qu’elle a reçu un joli pécule avec l’accident de son mari beaucoup lui font la cour
elle aime bien ça mais elle veut rester libre
des fois elle part à la ville toute bien habillée et elle reviens avec tout plein de paquet avec des ficelles et des inscriptions dessus
elle rit, elle s’amuse, elle profite de la vie, elle aime bien le françois 
et comme elle habite une maison quelques pâtés avant la sienne des fois il se trompe d’entrée
elle ne lui en veut pas bien au contraire et cela s’entend surtout en été quand les fenêtres restent ouvertes

l’albert 
il est vigneron et très connu pour la qualité de son vin
son domaine, le domaine de la cascade, compte trois
hectares et demi
il y cultive du blanc et du rouge, du chasselas, du pinot noir, du gamaret, du garanoir, du diolinoir, du merlot et de la syrah
il y a aussi quelques ceps de pinot gris et de plant du rhin, mais pas assez pour en faire une spécialité alors il les met dans le chasselas
il aime la vigne, il aime le vin… il aime aussi les gens et surtout sa rolande
lors de la mort de son père il a repris le domaine comme l’avait déjà fait son père avec son père et celui-ci avec son père et ainsi de suite depuis plus de six générations
il a toujours travaillé à la vigne
au début, il a travaillé pour un autre vigneron que son père celui-ci estimant qu’il apprendrait mieux le métier ainsi
non seulement il appris mieux le métier chez l’ami de son père mais il a aussi connu sa fille, celle qui est devenu sa femme, la rolande
plus tard la rolande a hérité la moitié du domaine de ses parents, l’autre moitié allant à sa sœur agathe qui avait épousé l’ami de l’albert, françois vigneron comme lui
un jour, la famille s’agrandit avec un petit françois-albert
l’albert en était fier d’autant qu’il savait que le domaine de la cascade avait une suite
on demanda au françois d’en être le parrain
plus tard, dès l’école primaire, tout le monde appelait le françois-albert simplement françois
depuis tout petit il s’intéressait à la vigne et il aida son père durant les jours de congé et  les vacances
au sortir de l’école, il apprit le métier de mécanicien ce qui arrangeait son père au début 
mais quand il est parti pour se mettre à son compte et qu’il lui a dit qu’il ne voulait pas reprendre l’exploitation du domaine, ils se  sont fâchés
ils ne se voient plus, il ne vient plus à la maison
un jour que son tracasset est tombé en panne il ne pouvait plus l’emmoder  l’albert était bien emmerdé
deux jours que sa machine est restée en panne au bord de la vigne
un jour françois a appelé françois-albert son filleul 
discrètement celui-ci a réparé le tracasset de son père mais ils ont fait comme si c’était le françois qui avait trouvé la panne
comme le françois s’occupe aussi de la vente des vins de l’albert, il lui fait quelques travaux comme la taille des gobelets
en fait ils font beaucoup de chose en commun 
ainsi ils ont engagé un ouvrir dont il se partage les frais et le temps
ils ont aussi acheté des machines en commun 
mais chacun fait son vin

la lettre
sur l’enveloppe il est écrit «  à mon françois »
sur la lettre il est écrit
« mon françois
merci pour ces moments de bonheur
il faut absolument que je trouve le courage de lui parler
je veux pouvoir te voir sans me cacher
je t’embrasse tendrement
R. »

épilogue
l’albert ça le rebouille toute cette histoire 
même ses vieux amis à la vigne ne peuvent lui remonter le moral
il est triste, il est tout patraque et n’a plus d’allant, 
son ami françois sent qu’il y a quelque chose mais n’ose pas lui en causer
alors il va voir la rolande et lui en cause
il faut absolument faire quelque chose, l’albert est en train de pèter un câble
lui dire la vérité ? 
mais comment il l’a su ?
un bruit les fige
l’albert est là devant eux
– je sais tout qu’il dit calmement
– tu sais quoi que lui demande le françois
– tout …que j’te dis… après toutes ces années d’amitiés partagées… j’en peux plus
– juste une question demande françois comment tu l’as su ?
– tu te rappelles… l’autre soir quand on a échangé nos vestes ?
– alors tu as lu ma lettre demande la rolande les yeux tout humides
– ben ouaih et ça m’as fait vachement mal ! dit tristement l’albert
élevant la voix le françois l’agresse 
– comment t’as pu imaginer une chose pareille, je sais que je ne suis pas un ange, mais je ne te ferai jamais du mal… la preuve ton tracasset…
– c’est de ta faute que lui dit en pleurant sa rolande si tu ne t’étais pas fâché avec notre
fils
– de ma faute, vous poussez pas un peu loin le bouchon … non ?
– à propos de bouchon ? lui rétorque françois
– tu te fous de moi en plus de sauter ma femme tu veux faire sauter un bouchon ?
– t’es vraiment trop con… maintenant tu vas nous écouter
la lettre était pour ton fils françois-albert
la rolande a continué de le voir malgré votre différent 
elle ne t’as jamais rien dit mais elle ne pouvait pas accepter cette situation
alors oui de temps en temps elle me donnait une lettre pour lui que je donnais à ma fille mathilde qui est amoureuse de ton fils
et là, j’ai oublié de la lui donner et l’ai laissée dans ma poche… désolé
et de plus, sache que chaque fois que ton tracasset était foutu c’est ton fils françois-albert qui l’a réparé
l’albert tombe sur sa chaise
– alors tu le fais sauter ce bouchon ? lui demande son fils françois-albert qui entre avec sa mathilde
– il faut bien arroser ton futur petit-fils albert-françois !