une simple histoire de verres


ça fait pas mal de temps que ton histoire à commencer
en 4520 avant jissé (ou si tu préfères en 2500 av. J.-C.) on le façonnait déjà 
plat, flotté, creux, moulé, étiré, trempé, feuilleté
travaillé à la flamme, soufflé, bombé
recyclé, réfondu, consigné
et tout et tout 
et on s’en fout car c’est pas le sujet de notre histoire
en fait c’est pas une histoire mais des histoires 

1 – plutôt que de se vendre il préfère se casser
il fait tout noir dans sa prison
il y a tellement de place que tu touches les parois avec les épaules
t’as peur de plier la jambe que si elle casse tu ne te relèves plus
t’es là debout dans le noir à ne rien faire
les parois sont tellement épaisses que tu entends tout
des fois par une fente qui est en haut dessus tu vois un peu de clarté mais ça ne dure jamais longtemps
tu entends de drôles de bruit et puis c’est le silence
t’as froid
tu ne sais pas qui tu es tu n’as aucune idée de ce que tu fais là ni pourquoi
tu n’as pas de mémoire 
tu te rappelles de rien 
et puis du bruit
tu ne connais pas ces sons 
tu ne comprends pas ce qu’ils te disent
t’es secoué 
t’as la tête à l’envers puis à l’endroit
puis les sons se rapprochent et deviennent plus distincts
alors tu comprends que tu seras placé à côté d’un panneau où c’est écrit dessus en
rouge en gras avec de gros 
chiffres séparés par un point avec des petites lettres devant
le trait de lumière qui passe par la fente ne s’éteint plus
t’es éblouis par une grande clarté tellement que tu ne vois pas où t’es
une grande pince avec tout plein de doigts te saisit sans ménagement te sort de ta
boîte-prison et te pose sur 
quelque chose de pas très stable, pas très plat que tu regrettes déjà ta prison
tu vacilles tu fais un effort pour te tenir droit mais t’es un peu ankylosé depuis le
temps
il y a de la lumière partout
la pince te reprend te présente face à cette source de lumière si violente et tout à coup te sert tout autour de ton
corps et te fait tourner et ce n’est pas une caresse car les doigts pressent que ça te fait presque mal
la lumière apparaît par intermittence puis de nouveau en pleine poire et te repose sans précaution sur un sol 
instable que tu sens que tu vas tomber
et tu tombes, tu roules et tout à coup tu tombes dans le vide…
il n’y a plus rien sinon mille éclats brillants qui se répandent dans un fracas comme du verre qui se casse
et c’est un verre qui se casse !

2 – un verre c’est assez… deux c’est pas assez
le verre c’est peut-être l’élément le plus important quand on boit
d’abord parce que sans lui on devrait boire à même le goulot et ensuite parce que le verre comme l’assiette au
restaurant permet de travailler la présentation et bonifier l’expérience de dégustation
si c’est vrai qu’on mange d’abord avec les yeux il faut croire qu’on boit de la même manière
un verre propre et frais avec ou sans décoration donne la première impression
et il y a autant de verres que de boissons
par exemple la flûte à champagne est un grand verre mince à pied très fin
son petit diamètre permet de limiter la perte de bulles
alors que le verre à champagne en forme de tulipe convient mieux aux mousseux
le verre à blanc est pas trop grand pour que les vins complexes ne s’y perdent pas
et pas trop petit pour que le bouquet puisse rendre son arôme
légèrement conique il les intensifie en tournant pour les aérer et pour les libérer 
le verre à rouge aura une forme de grande et grosse tulipe
alors que le verre ballon destiné au bourgogne est plus écrasé pour des vins à la robe intense et très nobles
le verre à bordeaux sera un peu plus grand et un peu plus mince
en dessus du comptoir, il y a un espèce de grand meuble plat qui présente des bouteilles de toutes sortes et
dessous des tringles brillantes en acier suffisamment espacées pour permettre le passage d‘un tube en verre qui
est le pied du verre
deux verres suspendus à boclon par les pieds la tête en bas
ils regardent les gens qui entrent et essaient de deviner ce qu’ils commanderont pour savoir s’ils devront bosser
à chaque fois ils se plantent sauf pour les deux derniers le gustave et l’albert qui commandent leur ballon quotidien
un de rouge et un de blanc
une main leste les enlève de leur position inconfortable les retourne et les pose sur le zinc non sans avoir
regarder au travers avant
l’un se remplit de blanc et l’autre de rouge
ils font envie à coupette qui regrette que l’albert ne soit pas avec sa germaine de femme qui prend toujours un petit porto
les autres, flûte verredo verrabière et gobelet sont tristes aussi car ils restent là à ne rien faire
et pourtant verrapied les regarde quelque peu méprisant
avec son copain ils savent qu’ils sont les meilleurs, les plus beaux et ils seraient presque moqueurs et arrogants
chacun boit ce qui lui ressemble et quand on aime la vie on boit du vin
– prends flûte, par exemple, son prosecco ou son pétillant et même son
champagne t’agressent le palais avec ses petites bulles
avec verrabière la bière te fera roter et c’est comme l’ail ça sent fort
avec verredo c’est sans goût ou alors plein de sucre et de tout plein de trucs qui sont pas bon pour la santé
tandis que nous les verrapieds nous t’offrons un produit naturel sans e et pas besoin d’être bio pour être naturel
bien sûr on est tous différents mais on sert tous à quelque chose
tiens par exemple en pic nic c’est plus facile à transporter et très pratique
ou bien tu vois verredo tu peux aussi y mettre des fleurs
ou bien encore flûte sera de bonne compagnie quand t’annoncera la naissance de ton petit ou que tu voudras emballer ta future
– eh doucement c’est pas de l’eau dit verrapied
apprécie le travail et le temps qu’il a fallu pour faire ce vin et il en a fallu du temps,
de la patience et du savoir faire
hume le bouquet
respire prends un petit peu de vin dans la bouche
fais le tourner autour de la langue
garde le un moment en bouche 
maintenant tu peux avaler
tu ressens ses saveurs ses sensations
c’est à ça que je sers ! moi
– fais-moi encore tourner
regarde-moi
mire-moi
apprécie sa couleur, sens son bouquet
imagine la vigne… le vigneron…
demande-toi pourquoi deux vins provenant du même village et du même cépage n’ont pas le même goût ?
le terroir et surtout le savoir faire du vigneron 
l’un sera plus sur le fruit, l’autre sera plus minéral ou plus floral
et puis moi, verrapied j’y suis aussi pour quelque chose
prends ce gamaret-garanoir là 
verse-en à gobelet et à moi
déguste !
c’est pas le même et pourtant…
et verrapied de continuer
– prends moi dans ta main 
non ne sers pas si fort, je ne vais pas me sauver
maintenant élève-moi jusqu’à la hauteur de tes yeux et penche-moi légèrement
regarde la couleur de la robe, son éclat sa transparence
oublie mes formes arrondies qui te font penser à la germaine et concentre-toi sur le contour du contenu 
sa manière de se poser contre mes formes
maintenant approche-moi de ta bouche
attends !  tu pourras y plonger tes lèvres après
respire cette bonne odeur, ce parfum unique qui active tes petites cellules grises
tu sens le soleil, ces cerises noires confites bien mûres
allez vas-y maintenant goûte-moi ce nectar
tu as deviné ?
tu sais ce que c’est ?
bien sûr que c’est un pinot noir, bobet 
je te l’ai dit mais lequel ?
c’est celui de nicolas bagnoud à flanthey, c’st son pinot noir de valençon
un vrai merveille et qui se marie avec tout
maintenant tu me reposes délicatement et tu laisses ses saveurs t’emplir la bouche comme elles qui t’ont empli 
le nez tout à l’heure
là, maitnenant tu as compris à quoi je sers ?
alors à ta santé !


3 – dégustation
– j’irai bien sur la terrasse
– moi aussi juste un petit coup pour se réchauffer, lui répond verrapied
– et y paraît que la vue est superbe
– t’y es jamais allé
– non je suis là depuis longtemps mais j’étais dans le carton là-bas et il y en a un qui s’est cassé alors je le remplace
– ah oui  je me souviens; i’s’est pas cassé… on l’a cassé
il y a quelques jours quand il avait sonné quatre chiffres, alors que tout était tranquille et que personne ne bougeait à part le vin dans les cuves
la porte s’ouvre, les grandes lumières et un bruit j’te dis pas
on se retrouve à quatre sur la table au milieu d’un tumulte avec même des gaillards qui ne parlaient pas comme nous ils avaient l’accent riesling et ils parlaient du “pinotte” au lieu de dire comme nous le pinotbref on en a fait des allers et retours
même qu’à la fin on ne distinguait presque plus dehors tellement nos corps étaient maculés
et puis tout à coup, je ne sais pas pourquoi, un de ces gaillards a donné une grande baffe au travers de la table
et notre copain la prise en pleine poire ! il s’est envolé et s’est épelé contre le mur
mais ne t’en fais pas je crois qu’aujourd’hui on va nous sortir car j’ai entendu dire ce matin qu’il fallait préparer 
la terrasse et qu’ils ont mis quelques grandes vertes au frigo
tiens qu’est-ce que je te disais
– ah ! que c’est beau et pi il fait plus chaud qu’en bas à la cave mais on est pas tout seul
il y a eu d’autres ?
– bien sûr et tu verras on va pouvoir goûter du blanc et du rouge et il y aura plein de commentaires
des fois c’est à pleurer de rire y’en a qui disent n’importe quoi
mais si tu as de la chance tu serviras le patron
– c’est qui ?
– le grand là-bas en salopettes bleues qui sert les mains à ces gaillards
– eh bien moi j’aimerais bien être le servant de la gaillarde qui cause avec lui
tu la connais ?
– pas plus que ça mais elle vient souvent et je crois qu’elle aime bien le vin de notre
patron
– bon ça va les bavardages ? un peu de sérieux sinon je vous laisse de côté
j’espère que vous vous tiendrez comme il faut, pas comme avec les rieslings !
– écoute ma grande, c’est pas notre faute si ces rieslings y savent pas boire quand même
et pi ils parlent fort  qu’on ne s’entend plus boire ni verser
…et on bavarde pas ! j’explique au nouveau
– j’adore ce côte de bellevue  
il est fruité, légèrement gras, élégant et long en bouche
un vrai plaisir
il faut dire que pierre-yves poget d’agiez sait faire du vin
– eh c’est normal, j’ai juste un fond ?
– bien sûr, c’est qu’on va tout goûter, c’est pas juste un apéro
– on va mélanger les blancs et les rouges
– ben non, d’abord les blancs puis les rouges
– et ça en fait combien ?
– une bonne dizaine
– on va être complètement bourré
– mais non on n’est pas obligé de tout boire on peut verser le reste dans le boillon noir là-bas
– eh mais il a tout bu
– c’est bon signe il aime bien et qu’est-ce qu’il a dit ?
– il était étonné que ce vin vienne de ce pays de loups
– ah ah tu vois et attends la suite
– eh c’est rose c’est normal ? et c’est tout froid 
– ben oui c’est du rosé
– t’as entendu il aime pas ce rosé mais que celui-ci il le trouve sympa mais qu’il ne
l’achèterait pas quand même,
même qu il l’a tout bu !
et tu sais ce qu’il a dit encore que le rosé était fait en mélangeant du blanc et du rouge !
il est vraiment con celui-là
– t’as pas de chance
le mien est mieux 
d’ailleurs il lui explique que ce n’est pas un mélange mais que le rosé est fait de deux
façons : par pressage ou par soutirage et on ne dit pas “mélange” mais “assemblage”
celui-ci de rosé est un oeil-de-perdrix magnifique qui vient de chez rené-pierre nicolet à bevaix
– ah enfin du rouge
j’aime bien le rouge surtout ce gamaret-garanoir qui a un goût de réglisse, qui est épicé, rond et long en bouche
– normal c’est celui de didier imhof à rivaz
il passe une dizaine de mois en barrique ce qui lui donne cette souplesse et sa rondeur
– j’ai cru que tous les vins étaient mis dans des tonneaux
– t’as encore beaucoup de choses à apprendre 
pour les rouges par exemple, une fois cueillies les grappes sont égrappées et les grains placés dans une cuve 
tu sais ces grandes boîtes carrées et brillantes qu’il y a à la cave et après quelques jours ils sont pressés et le moût est transvasé dans une autre cuve ou de grands tonneaux, les foudres, où il fera sa fermentation
quelques temps plus tard on en transférera une partie dans des plus petits tonneaux, les barriques ou les fûts
et là, il va rester entre dix et douze mois, en principe
pour le blanc, on égrappe pas, on presse tout de suite les grappes dès leur arrivée à la cave
– hum c’est vachement bon et goûteux
– ouaih mais il est encore jeune et dans quelques années ce sera top
– c’est quoi ça… on recommence ?
– mais non … c’est la rincette que ça s’appelle ou le dernier verre pour la route… en principe

4 – à vendre
dehors il y a de grands panneaux avec tout plein de chiffres qui interpellent ceux qui passent
lui est comme ses compagnons alignés sur ce tablard en pleine lumière 
ils ne les voient pas
avec eux il est là alignés, les uns à côtés des autres dans un ordre de grandeur et de grosseur
verredo est au bord du tablard et reste vigilant des fois qu’on le bousculerait et qu’il
tomberait
flûte se presse contre verrapied dont le corps corpulent lui offre une protection et lui cache la vue du nain gobelet 
– qu’est-ce qu’on fout là, demande verredo ?
– j’en sais rien dit flûte, en tout cas j’ai pas envie de rester longtemps ici il y a trop de bruit et tous ces doigts qui 
te tripotent ça me rend dingue
– tu te rends compte, renchérit verrapied, le gros la-bas avec son gros nez tout rouge il racontait qu’il me prendrait bien parce qu’il y aurait plus à boire ! 
moi qui ne supporte que les grands crus
– ben ça te ferait aussi du bien de goûter et de boire autre chose que des grands crus
il n’y a pas que ça 
et tiens il y a aussi des vins très sympa que ne connaissent pas encore ceux qui écrivent tout plein de choses compliquées que l’on comprend pas toujours au lieu d’utiliser des mots simples pour expliquer les choses comme  « ce vin est magnifique, ou simplement bon ou sans intérêt »
– j’ai un cousin qui travaille dans un bistrot sur la côte qui m’a dit avoir goûté un vin pas
très connu et ben qui pouvait facilement rivaliser avec ce que t’appelle un grand cru
– c’est pas de ce côté, c’est sur la côte entre dully et morges
d’ailleurs tiens cela me revient c’est à dully chez jean-jacques steiner au domaine parfum de vigne et son vin est le sire thomas le fleuron du clos de st-bonnet un subtil assemblage de gamaret, garanoir et diolinoir
– j’demande à boire 
– ah mais vous pensez qu’à ça dit verredo, qu’à boire des fois qu’on vous utiliserait pour autre chose vous n’y avez jamais pensé
– impossible, je suis trop petit dit gobelet
– c’est vrai que tu ne finiras jamais dans un grand restaurant comme moi ricane verrapied
– qu’est-ce t’en sais et fais pas le malin lui crie gobelet
tu oublies que t’as failli finir avec gros nez rouge à te remplir l’estomac de piquette de ne pas prendre de douche régulièrement et à force de ne plus voir ce qui t’entoure tant les doigts b et boudinés auront laissé de traces d’un coup à l’autre
ou alors on t’utilisera pour garder des clés posées sur un tablard à l’entrée en plein courants d’air, fait remarquer flûte
– arrêtez de déconner, relance gobelet
essayons plutôt de faire bonne figure afin d’être utilisés pour ce qu’on sait faire 
moi par exemple, je n’ai aucune honte à avouer que je me sens bien dans un bistrot 
les gens sont sympa causent commentent les nouvelles même celles qui n’en sont pas jouent aux cartes en s’engueulant de temps en temps
et puis à coup de un, deux ou trois qui se renouvellent régulièrement ils savourent le blanc que je leur offre 
un blanc subtil et goûteux qui les rend joyeux et bavards
mon cousin qui s’y connaît m’a dit que tout près de dully à perroy il y a un féchy du clos de chatelanat qui est plaisant comme son vigneron cédric gaillard du domaine feuillerage
– bon et toi flûte à quoi tu sers avec ta grande jambe qui doit pas passer dans la douche, lui demande verredo
– à mes amis, je me réjouis de retrouver ma copine qui travaille à la poupée qui tousse un super bar et de pouvoir me baigner dans du champagne
– du champagne tu rêves à la poupée qui tousse rigole gobelet du prosecco ou mieux du pétillant qu’i’ servent
– pourquoi pas, il y en a des bons, répond flûte vexée tiens ma copine m’a dit que l’autre soir elle a eu droit au pétillant de ….
– eh ça va pas crie verrapied 
le con s’il continue à me branler de la sorte il va finir par me lâcher …
et meeeerde….

5 – invitation
un carton illustré précisait que c’est valable pour une personne mais que si on cochait dans le petit carré là en-bas entouré de noir on pouvait venir avec quelqu’un ou quelqu’une
une entrée décorée comme ceux qui arrivent et éclairée avec deux cerbères en guise de colonnes qui zyeutent
ton carton que tu vérifies encore une fois que t’as bien mis la croix dans le petit carré noir prévu à cet effet et que 
c’est bien ton nom qui est écrit sur l’enveloppe car tu l’as gardée pour preuve que t’étais bien invité
une musique entraînante qui t’appelle et te montre le chemin jusqu’à une grande salle au tes souliers neufs font du bruit en grinçant
ça sent bon le mélange d’odeurs de cuisine et de douches récentes
une signe de tête comme salut pour le chef, une courbette exagérée pour le chef du chef et tu suis les odeurs de bouffe qui t’amènent directement au bord de la caverne d’alibaba posée sur un table longue d’au moins… en tout cas
une main amicale qui te tape sur l’épaule
une voix familière qui te rappelle où tu es et qui c’est un plateau porté avec prudence et élégance
une main tendue avec autorité qui attrape la jambe mince, nue, élancée qui supporte un corps élégant, aux
formes douces, enveloppantes et légèrement arrondies retenant un élixir de couleur jaune où s’égaillent des 
milliers de petits billes qui brillent et dansent et sont autant d’yeux qui te déshabillent et qui rient de ton impatience à porter les bords de cet objet si féminin jusqu’à tes lèvres 
mais le bavardage incessant du chef du chef de ton chef qui rappelle des tas de trucs que tu as déjà vécus cette année et que tu revivras l’année prochaine te casse les oreilles
en plus t’as mal au dos, ta cravate est trop serrée et tes souliers neufs ont découvert un nouveau jeu de torture
flûte, c’est son nom, pas du chef du chef de ton chef, mais celui de ce corps élégant, mince aux formes douces, enveloppantes et légèrement  arrondies, s’exclame
– il a pas bientôt fini de causer ce type qui se croit drôle ?c’est qu’il me chauffe l’autre là qui me sert entre ses doigts et c’est que bientôt j’aurais plus de petites bulles
– si t’avais pris un glaçon comme moi t’en serais pas là lui rétorque coupette sa voisine qui est entre les petites
mains de la quelqu’une que tu as cochée dans le petit carré noir
– dans du starlight à cédric gaillard du domaine feuillerage coupe flûte
– qu’est-ce que c’est que ça ? encore une de ces boissons qui vient dont on ne sait où
ou alors c’est le chef du chef de son chef qui veut épater tout le monde ?
en fait tel que je le connais c’est pour faire des économies qu’il a pas pris le cousin français qui coûte plus cher
– t’y es pas, t’es jalouse ou quoi bedoume
c’est fait avec du kerner un cépage allemand qui se plaît très bien sur la côte chez cédric gaillard
et toi qui est toute rose qu’est-ce que tu caches ?
– c’est un rosé
– eh je le vois bien que c’est du rosé mais ça vient d’où
– de chez martial besson cave des rossillonnes à vinzel et c’est vachement bon
– bon c’est pas tout, tout ça ,il cause toujours il faut qu’il arrête sinon …
eh ! tu triches toi le chef du chef de ton chef n’a pas fini et tu dégustes déjà mon kerner
– mais vas-y profite de sa fraîcheur c’est comme ça qu’il est bon
– c’est pas comme le chef du chef de ton chef, moins il est frais et meilleur il est, dit coupette en riant 

6 – un verre en hiver
les grands arbres sont tout blanc
tout couverts jusque sur les oreilles, les gens ressemblent à des locomotives à vapeur tellement le panache
blanc qui s’échappe de leur bouche est visible
d’un pas décidé, certains renoncent et poussent la porte qui tentent de leur résister
ils ont tellement froid qu’ils n’enlèvent pas tout de suite leurs différentes couchent 
une chaise que l’on traîne et qu’on ajuste à la table que déjà deux verres tout fumant se posent et laissent échapper un fumet agréable qui te réchauffe les narines
– t’es nouveau ici toi, demande verreapied
– oui j’ai remplacé celui qui s’est cassé
– ah bon j’avais pas remarqué qu’il en manquait un
– c’est comment ici ?
– c’est assez sympa mais ces jours c’est un peu le stress
tiens, hier par exemple, j’étais pas sorti de la douche et essuyé que déjà j’étais au boulot et comme ça toute la journée que j’en transpire encore
– tu crois pas que c’est que l’autre a bu trop vite et a laissé échapper une goutte
– c’est l’albert un habitué et celui d’en face c’est germain son copain
– i’ sont sympas ?
– i’ causent pas beaucoup
le germain i’vient moins souvent à cause de sa femme mais l’albert est veuf alors il est souvent là même quand il fait chaud dehors et qu’il prend son apéro sur la terrasse devant
– dis donc le germain il est toujours comme ça, c’est qu’il me sert avec ses grosses pattes
– c’est juste pour se réchauffer
– ouaih mais quand même j’ai cru qu’il allait me bouffer
– pas de risque, il a plus ses dents et t’inquiète pas il s’intéresse plus au contenu qu’au contenant
– tu parles de la petite qui porte le plateau 
– mais non bobet de toi
– ah bon tu me rassures… non mais t’as vu il a déjà tout bu
– attends… en général ils arrêtent au bout de quatre et des fois ils prennent encore du froid
– du froid, mais je ne supporte pas
– pas de souci, c’est pas toi qui sera de service mais ceux-là là-bas qui sont pendus par les pieds- au fait qu’est-ce que tu bois ?
– alors là c’est un secret tu comprends l’albert boit toujours la même chose quand il fait chaud il boit froid et quand il fait froid il boit chaud
– comment ça ?
– il prend toujours le pinot à imhof
– imhof ?
– mais oui le didier à rivaz
– ah bon
– tu peux dire qu’il est bon son pinot noir et tu sais il supporte un peu le chaud, mais pas trop longtemps
tu verras, pour demain comme le jeanneret annonce dans le poste du beau ce qui ravit l’albert car il préfère son 
pinot à température cave
– ouaih mais j’ai entendu dire par mon copain verreplat tu sais celui qui est la-bas entre ces bouts de bois à moitié caché par 
le rideau qu’il y avait des épices dans le rouge
– il a pas tort mais pas dans celui d’albert
– et germain ?
– il boit la même chose
– bon, c’est pas tout, t’es prêt ?
– pourquoi ?
– ben tiens pour la deuxième tournée

7 – les roberts
bonjour madame, bonjour monsieur 
bien venue à l’assiette du chef votre restaurant
avez-vous réservé ?
très bien, suivez-vous moi
cette table vous convient-elle ?
non, je suis désolé celle-là là-bas elle est déjà réservée 
ou alors celle près de la fenêtre ?
non non il n’y a pas de courant d’air, madame
oui celle du fond est libre
bien entendu je me souviens de monsieur
voilà je vous envoie tout de suite le sommelier
bon appétit
– j’ai horreur de ces gens qui te font des courbettes pour rien du tout …et avec qui t’es venu ici ?
elles ont bon dos tes affaires et puis je croyais que le jeudi tu sautais ton déjeuner
– t’as raison, en principe le jeudi je saute le déjeuner mais robert a insisté pour me voir
– robert ? je le connais ?
– tu penses que ça va durer tout le temps cette dispute, demande verrablanc ?
– oui je le reconnais le monsieur il est venu l’autre jour avec une nunuche qui avait de ces
roberts que tu pensais qu’elle n’arriverait pas à me prendre dans sa main
– alors là il est gonflé de mentir comme ça à sa femme
– non, non, il ne lui ment qu’à moitié il aurait dû dire qu’il était avec robert et robert !
– bon si sa nunuche savait qu’il l’appelait « déjeuner » elle serait pas contente
– comment tu sais tout ça, toi ?
– c’est flûte et coupette qui me l’ont dit, elles ont assisté au déjeuner dans leur chambre… enfin au dessert !
– attention voilà le chef
calé derrière un grand tablier noir avec une petite broche en or en forme de grappe en haut à gauche de son palto un gaillard 
s’approche de la table avec un grand livre qu’il porte à deux bras
– que puis-je vous proposer pour l’apéritif leur demande-t-il et d’ajouter un blanc sec de la côte ou plus fruité 
comme un épesses ou un chardonne ?
un chardonne à jean-paul forestier ?
parfait !
oui bien sûr, j’attends que vous ayez choisi le menu pour vous proposer un rouge
– j’adore ce vin de forestier il a vraiment un bon goût de chardonne
– t’as raison c’est le meilleur de la carte
– non mais je rêve t’as vu cette bedoume qui me laisse son rouge à lèvre crie verrablanc
berk c’est dégueulasse et en plus j’ai plus le goût du chardonne
– t’inquiète c’est bientôt fini lui dit de sa voix profonde verreballon
– heureusement car je n’en supporterais pas plus, mais j’aimerai bien voir la fin du  repas
– pas possible rétorque verreballon, c’est à nous maintenant et vous, vous dégagez !
– t’es gonflé de nous parler comme ça et d’abord qu’est-ce que tu en sais ?
– ça fait plus de quatre semaines que je bosse ici alors je connais 
tiens comme le type qui est à la table avec cette nouvelle vieille épouse
– pourquoi tu dis nouvelle ?
– parce que l’autre jour il a dit à marcel que c’était sa femme
– la vieille ?
– non la jeune avec les gros roberts
– ah bon 
– eh attention voilà petit chef qui va vous emmenez aux bains-douches
– salut et bonne suite
– ouaih c’est ça à demain ou peut-être à toute à l’heure si le monsieur veut sa petite
arvine de la cave des amandiers à alexandre delestraz à saillon pour finir le repas
il dit que c’est la meilleure façon de finir un bon repas
– et avec les asperges vertes vous resterez au chardonne ou vous préférez un dézaley à didier imhof à rivaz
– oui bien entendu je le sers au verre
madame aussi
un thé pour madame, bien madame
– je comprends qu’il préfère la petite aux gros roberts elle au moins elle aime le vin
– pour le stroganov je vous propose le merlot 2016 de phillipe villard à anières, une vraie
merveille
non seulement en bouteille
rassurez-vous madame, si votre mari ne finit pas la bouteille vous pourrez emporter le reste
– tu verras dit verreballon à tassaté il la finira la bouteille 
– qu’est-ce que tu dis ?
– malgré ta grande oreille t’entends rien dis donc teins ça me fait penser au gag de
coluche c’est pas ceux qui ont des grandes oreilles qui entendent le mieux… et ça m’arrange
– ah vraiment un bon choix marcel, ce merlot est une merveille et j’ignorai qu’il y avait des vignes à anières
– non anières n’est pas en France comme tu croyais parce que tu te souviens de l’histoire de fernand reynaud le 22 à asnières
– il connaît bien les vins, demande tassaté ?
– non il fait semblant mais marcel est de très bons conseils il sait toujours associer un bon vin avec un bon plat
– comme le thé
– tu rigoles ça n’a rien à voir je te parle de gastronomie 
– un fromage ? un dessert ?
oui, nous avons une tarte tatin
une tarte pour madame et pour monsieur ? un colonnel volontiers
– tu m’excuses deux minutes je vais saluer georges là-bas qui déjeune avec son
fournisseur
– merci marcel de votre discrétion
– je suis étonné de vous revoir ce soir, madame, surtout un mercredi
– ben j’avais oublié que c’était notre anniversaire de mariage
– ah bon ? félicitations !
– ne soyez pas moqueur marcel
attention mon mari revient
–  comme d’habitude à mercredi prochain, la table toujours au nom de robert et la 112 ?
avec plaisir
vous ne voulez pas essayer la 115 qui donne sur le lac ?
vous savez, on vient pas pour la vue !

8 – c’est pas parce que t’es saoul que t’es sous la table
c’est une équipe de copains qui ne savent pas compter jusqu’à dix
ils ont des tas de points communs mais ne boivent toujours qu’un verre à la fois 
d’ailleurs ils ont des verres qui sont tatoués à 0.2 qu’ils disent
ils sont toujours de bonne humeur quand ils se rencontrent 
et pour vaincre leur eauphobie ils se réunissent dans un lounge au bord du lac
certains sont déjà immunisés mais d’autres pas encore
à chaque fois, ils respectent un rituel qui commence par l’apéro suivi du repas accompagné d’un rouge du coin 
et après le dessert on passe à la rincette
grands fidèles de notre gilles ils regrettent bien comme lui que ces bons vaudois n’aient pas mis du vin de cette eau qui est la leur
à chaque fois c’est un autre qui prépare le repas ou une autre car il y a aussi des dames
ils échangent des choses et d’autres dans de grands rires preuves de leur complicité
ils sont tous différents
ils sont tous gourmands
ils sont tous oenophiles
ils sont tous sympas
ils sont tous de gais lurons
ils sont le club des dix…verres
à chaque fois c’est un grand moment de plaisir …surtout au moment de la rincette

9 – en hiver bois ton verre comme au printemps, comme en été et comme en automne… avec plaisir
sur le long plateau en zinc il y a verrabière, gobelet, flûte, coupette, verreballon et petitverre
c’est la fête ce soir
chacun et chacune y va de son histoire, de ses souvenirs, de la semaine ou des soirées
verrabière qui revient de la fête raconte ses exploits avec tellement d’enthousiasme qu’il ne peut contenir un rot et un peu de salive comme une mousse blanche qui lui coule sur ses flans
à cause de son accent plein de rrrr on a de la peine à la comprendre sinon que le mot de passe de la fête est prosit !
flûte n’arrête pas de buller à écouter ces flots de paroles quand elle est rappelée à l’ordre par une main douce mais ferme qui l’approche de lèvres pulpeuses d’un rouge écarlate
– ça sent rude bon se dit-elle
puis elle se laisse coucher à moitié sur celles-ci et laisse échapper quelques bulles et liquide
elle frissonne de plaisir quand elle sent la caresse d’une langue douce lapant une dernière goutte
elle se dit qu’elle a bien fait de sortir ce soir et s’empresse de partager ce plaisir avec gobelet qui la regarde amoureusement
-quelle chance t’as toi, dit gobelet
quand je pense que je vais devoir à nouveau m’élancer là-haut et affronter 
cette moustache qui pique et me démange et qui ne sent pas très bon
– c’est pas la moustache, c’est ton vin qui ne sent pas très bon
si t’avais choisi le cornalin à nicolas bagnoud de flanthey t’en serais pas là
– eh j’tai pas sonné ! répond gobelet
madame fait la précieuse avec son prosecco, mais hier, ma cousine coupette a eu droit au champagne
– je préfère un bon prosecco à un crouille champagne
– bon c’est pas un peu fini, dit verreballon on ne s’entend plus boire ici !
– parfaitement, renchérit petitverre
– c’est quoi ton problème demande gobelet à verreballon tu te crois malin parce que t’es plus gros que moi
– je ne suis pas gros 
certes j’ai des formes généreuses mais c’est pour mieux mettre en valeur mon contenu et je n’ai pas ta vulgarité 
on ne me met pas à boclon pour me vider d’un coup
on m’apprécie et même parfois j’ai la tête qui tourne avant qu’on me soulève délicatement pour que je libère mon nectar par petites rincées
– ouaih bon mais moi au moins je fais du chiffre je fais la fête et je fais parler les gens 
avec moi les gens sont de bonne humeur et quand ils me prennent dans leurs doigts ils me serrent et me balancent en coups virils
c’est pas comme toi que deux ou trois doigts saisissent délicatement le pied de peur de le casser et avec les deux
autres en suspend dans l’air comme s’ils ne servaient à rien
– bon on se calme, dit petitverre qui ne veut pas rester en reste
on est tous des verres 
on est tous divers
alors, dit, vers quoi va-t-on ?
– ça veut rien dire ce que tu viens de raconter
va prendre un douche et arrête de boire ces alcools forts t’es toujours complètement bourré et tu te crois drôle 
– pardon hic si je vous dérange mais je me concentre tellement que ça me saoule
– bon dit coupette, on va pas y passer la nuit
un dernier pour la route…!

10 – un verre fracassant
t’as su pour verreballon ?
– non mais à la douche verrabière m’a dit qu’il s’était passé quelque chose de fracassant
– tu peux le dire verreballon s’en pris une
– comment ça ?
– ben quand le gustave qui me tenait d’une main ferme a voulu couper atout l’abert s’est fâché tout rouge et oubliant qu’il tenait verraballon dans la main a frappé sur la table
– avec verreballon dedans
– comme je t’l’dit
l’abert est devenu tout blanc pendant que sa main devenait tout rouge comme la table et le tapis vert des cartes
partout c’était tout rouge et le gustave de boueuler et d’appeler au secours
la mathilde que celle-ci le sang lui fait tourner les sangs tellement qu’elle est devenue
toute blanche aussi qu’on aurait dit que c’était elle qui perdait son sang
– et l’albert ?
– il gueulait qu’il allait mourir si on le laissait comme ça
– bon, je te disais que le fernand qui jouait aussi aux cartes avec l’albert et le gustave mais contre avec le germain 
et qui étaient en train de leur foutre une tourniquée qui aurait obligé l’albert et le gustave à payer l’apéro en tout 
cas celui de cette partie a poussé une boueulée à mathilde qu’elle se bouge avec une panosse
mais la mathilde avait déjà pris les devants et appeler le docteur michel
– j’peux pas tout faire ici et pi t’as pas à m’engueuler, c’est pas moi qui fait des conneries 
et d’ailleurs il n’est pas encore mort le gustave
et j’ai appelé le docteur qui devrait arriver tout soudain
– ouaih dit gustave si c’est comme la dernière fois quand le fernand s’est planté le tire
bouchon dans la main vers le pousse …ben l’albert il a le temps de mourir
– mais vous avez pas bientôt fini de m’enterrer rétorque l’albert qui reprend ses esprits
– de toute façon on va pas t’enterrer avant qu’ait payé la tournée lui répond le fernand
– eh ben dit le docteur michel un rien moqueur je crois que j’arrive au bon moment 
– tu veux plus de lumière pour opérer demande le fernand … fais quand même attention l’albert c’est un délicat
– enlève d’abord ce linge que j’y voie clair
– tu me fais pas un piqûre pour me soulager ou contre le tétamachin demande l’albert tout blanc d’une voix tremblotante
après un long examen le docteur se relève et dit d’une voix grave de celle qui annonce d’habitude le pire
– messieurs, après un examen approfondi digne d’une autopaie je vous l’affirme il s’agit bien du gamay du domaine terre neuve de david kind à st prex
et tu vas pas le croire !… verraballon était tout entier …mais vide !

11 – à l’envers
– chiard t’oses pas !
regarde bien comme je fais
– t’es fou tu vas pas sauter… t’as tout te casser !
– que oui …et hop !
– t’es royé tu m’as fait une de ces peurs
mais explique-moi pourquoi toi tu peux et moi je peux pas
– ben c’est simple toi tu es un verre en verre fabriqué ici
moi je viens d’ailleurs d’acryville
mais j’ai la même forme que toi et je sers à la même chose
la différence ?
je suis bien moins cher
– bon d’accord mais moi, je suis dans les restaurants, dans les cafés
– tu oublies que souvent on me préfère à toi lors de réception même les plus sélectes !
en fait c’est comme dans la vie
on a la même forme
on sert la même cause
on s’appelle la même chose
et en plus on a la même couleur
mais parce qu’on ne vient pas du même pays on ne peut pas travailler dans les mêmes endroits et aux mêmes conditions

12 – l’apéro
le clocher de l’école sonne les quatre chiffres
penché dans la dernière ligne du charmu du haut dessus l’emile sourit
il finit sa ligne en enlevant les feuilles qui empêchent le jean rosset de peindre les grains
qui sont déjà beau ronds de cette couleur ambrée qu’on dirait de l’or
devant la porte où au dessus c’est écrit en grosses lettres arrondies chez germaine il tape ses pieds par terre pour enlever les cailloux et la terre qui se cramponnent dans le dessin de ses semelles
il écarte les rubans multicolores qui servent de porte avec cette chaleur et qui sont là pour empêcher les mouches d’entrer pour se mettre aussi au frais
comme d’habitude il tire la chaise au dos rond en bois clair qui est à gauche en face de la petite table 
il n’y a pas d’autre chaise à cette table, c’est sa table
la germaine sort de sa cuisine en s’essuyant les mains à un torchon qui était blanc ce
matin avec des railles rouges
derrière le bar elle se penche et on entend un bruit de bouteilles qui s’entrechoquent et un bouchon qui saute
sur son plateau elle pose le carafon qu’elle vient de remplir un gobelet transparent et brillant qu’on dirait du cristal et une petite assiette en plastic noir
un drôle de tintement de ferraille et un bout de papier qui sort d’une fente que germaine pose à boclon sur la petite assiette en plastic noir
elle prend le plateau et se dirige vers la table de l’emile
d’un geste il pousse sa casquette sur soif en signe de salut
elle pose le gobelet en verre qu’on dirait du cristal sur la table prend le carafon et remplit le gobelet de se précieux saint saph puis dépose 
le carafon sur la table à côté du gobelet et la petite assiette en plastic noir avec le bout de papier à boclon
– ça va demande-t-elle, et sans s’arrêter, fait chaud ?
-ouaih ça va répond l’emile
la germaine repart pour sa cuisine
l’emile savoure ce moment
entre son gros pouce et deux doigts il saisit délicatement le gobelet qui se dit que s’il le
voulait il pourrait 
l’épècler en serrant un petit peu
mais il n’en fait rien au contraire
il sert avec douceur entre ses doigts si costauds comme avec respect
c’est qu’il sait tout le boulot qu’il faut pour en arriver jusqu’à là
enfin la première gorgée 
le premier souffle de satisfaction et aussi de fierté 
-qu’est-ce qu’il est bon mon vin !

13 – c’est pas parce que t’es froid que t’es pas chaud
déjà 2500 ans av l’autre on le fabriquait 
plat, flotté, creux, moulé, étiré, trempé,feuilleté, travaillé à la flamme, soufflé, bombé, recyclé, refondu, consigné
et tout et tout 
bon on s’en fout un peu on est pas là pour ça
celui qui est utile à la survie de la civilisation c’est le verre où il y a quelque chose dedans
et dedans c’est là qu’on retrouve nos amis godet et gobelet pris entre des mains rugueuses et douteuses de propreté
en tête à tête ils s’entrechoquent à chaque lampée par les gestes augustes de leur propriétaire temporaire 
dans un tumulte joyeux des quatre chiffres
gustave et albert échangent quelques mots accentués par des hochements de tête des légers déplacements du 
corps posés sur des chaises qui grincent et qui risquent de pèter sous le poids qui leur est imposé
ils ont lu la julie et commente les nouvelles
et voilà que mathilde apporte trois sur le compte de gustavealbert ayant déjà payé le sien
du porte monnaie à rabat noir et usé ses gros doigts potelés et dont les rides
laissent apparaître les traces du travail de la terre saisissent quelques pièces argentées qui tintent sur le formica de la table
godet et gobelet se remplissent jusqu’aux côtes
– tu trouves pas qu’il a une drôle de tête le gustave ce matin, demande godet 
– ouaih on dirait qu’il fait un peu la gueule comme quand il perd aux cartes, répond gobelet
– c’est pas ça il a loupé un virage hier soir avec son boguet et s’est pèté la figure dans le champ de la germaine 
annonce verrabière qui reste toute seule sur la table d’â côté un peu de mousse accrochée à son corps
– ah bon je comprends mieux pourquoi i’boîte il a du faire une sacrée gamelle, renchérit gobelet
– pourtant quand il est parti, j’ai pas fait une pètée d’aller et retour entre la table et sa bouche en tout cas pas plus que d’habitude
– mais t’a pas tout vu puisque tu étais déjà à la douche 
en sortant ils ont encore été boire des coups chez le fernand raconte qui est à boclon sur un espère de râteau où il sèche et prend le soleil du néon au-dessus de l’évier du comptoir
– et j’ai tout vu de la terrasse où mathilde m’avait posé avec verrepetit qui était accompagné de son café
– c’était qui qui vous levait
– t’es bien curieux aujourd’hui
est-ce que je te demande à qui tu verses ton contenu ?
– allez te vexe pas, c’est juste pour savoir
eh tiens pour te prouver que je suis une vraie pipelette je te dis un secret mais tu peux le répêter si tu veux
d’ailleurs même verrabière est au courant
sais-tu que m’dame cheffe boit du pou… machin pour perdre du poids
– non est pas pou..machine 
m’dame cheffe boit pouere tii pour poids perdre
explique de sa voix nasiallarde tassent
– c’est qui celle-là, une nouvelle demande verrarouge
– non c’est tassaté que dit gobelet
elle sert pas souvent ici seulement m’dame cheffe pour son pou…machin et huguette le dimanche après-midi pour sa tisane quand elle accompagne son gustave de mari !

14 – bois mort ou bois mort ?
posés sur leur petit pied, trapus, aux formes généreuses, ils sont alignés en triangles comme des soldats se préparant à l’assaut le ventre déjà plein en tenue jaune ou rouge, parfois transparente, ils attendent le signal bien campés sur ce grand terrain rectangulaire et blanc comme neige qu’on dirait du papier
entre chaque triangle, il y a des grandes en tenue verte avec un grand étendard sur le devant qui indique d’où qu’elles sont et dedans, elles ont de quoi recaper ceux aux ventres jaune ou rouge
puis, tout à coup, une grande agitation trouble ce silence de mort et la grande salle de se remplir de noir avec quelques tâches blanches ou de couleurs
– ça change des trois fois trois, demande verrapied
– tu trouves pas qu’il font une drôle de tête, répond verreballon
– attends, tu vas voir dans un moment ce sera la fête
– ça suffit ! vider le contenu et revenez à la source pour refaire le plein, lance la grande verte
– oui cheffe, compris cheffe, à vos ordres cheffe
– pour qui elle se prend la cheffe, pour le chef ? comme si on savait pas ce qu’on a à faire, dit doucement verrapied
– tu bois quoi toi ?
– du calamin de chez blondel à cully
– ah bon !
– un peu qu’il est bon, c’est le meilleur du coin
c’est pas comme la dernière fois tu te rappelles ce truc qui ressemblait à rien que les gens ne finissaient pas et qu’ils disaient que c’était de la pistrouille et pas digne du marcel que de son vivant jamais il aurait bu une telle chose d’ailleurs s’il l’avait bue il serait déjà mort
et toi alors t’es tout rouge ?
– ben s’est normal, t’as pas vu le décolleté de la germaine ?
– ouaih, je comprends mieux le gustave que ça le gênait de nous quitter, il en a pas assez profité
– de la germaine ou du décolleté ?
– des deux… mais attend on m’a dit qu’elle voyait pas tout rose avec lui qu’il était sympa avec les copains et surtout chez fernand dans son bistrot
– à propos de rose c’était pas avec elle qu’il fréquentait en douc
– le gustave et la rose ? la rose la fille au syndic ?
– ouaih c’est comme je t’le dis, en tout cas c’est ce que j’ai entendu le jour où on était de service au carnotzet de la commune
– bon à part ça, tu bois quoi ?
– tu me jures que tu le répèteras pas ?
– juré promis si je mens je me mets à l’eau
– du valaisan
– DU VALAISAN !?
– pas si fort t’es con ou quoi, ouaih mais comme toi du bon, du pinot noir de valençon de chez bagnoud à flanthey
– on s’en souviendra du gustave, lui au moins il sait recevoir
– tu fais quoi demain ?
– je vais au mariage de la rose, tu sais elle se marie avec un jeunêt le marcel le fils du fernand
– mais je croyais qu’il était… enfin tu sais bien à voile et à moteur ?
– chut c’est un secret d’ailleurs ils ont déjà choisi le prénom du petit
verreballon se penche à l’oreille de  verrapied     
– gustave jr comme aux amériques

15 – c’est pas parce que t’as soif que tu bois, mais c’est pour ne pas avoir soif
chez fernand que c’est écrit en grosses lettres noires sur la façade de la maison en face de l’église et à côté de la fontaine
quand jean rosset est de la partie un gros platane donne de l’ombre à la petite
place et aux gros pavés ronds qui font mal aux pieds quand tu marches dessus à cause qu’ils ne sont pas à niveau
il y a aussi deux petites tables rondes sur trois pattes reliées par un cercle de fer
on ne sait plus la couleur de la table tellement elle est restée dehors tout le temps et par tous les temps
dessus la dernière couche de peinture bleue est écaillée et laisse apparaître l’ancienne qui était jaune
il y a trois petites chaises instables à cause des pavés
deux sont occupées mais bien couvertes par albert et gustave gaillards corpulents et solides dans leur bleu de travail
germaine la femme de fernand assure le service ce matin le fernand étant occupé à faire l’assiette du jour non sans avoir pris le temps de saluer ses copains pour trinquer et se donner du courage
c’est mardi donc c’est le rôti de porc avec son écrasée de pommes de terre et une salade comme c’est écrit à la craie blanche sur l’ardoise vivicola posée à l’entrée du bistrot
ils sont déjà à deux fois trois 
– tu te rends compte ce qu’ils boivent, demande gobelet
– t’as rien vu, on voit que t’es nouveau ici, pour le moment ils se chauffent 
– ah je comprends pourquoi l’albert raconte la même histoire pour la deuxième fois
– tu verras à la quatrième tournée la même histoire sera différente, en tout cas elle aura pas la même fin !
– bon eh bien, on n’a pas fini la journée, nous on va de nouveau faire des heures supplémentaires…

épilogue
c’est pas parce que t’as rien à dire que tu dois pas l’écrire
il n’est point d’hiver
que l’on peut qualifier de fait divers
lorsque seule la neige peut cacher tout ce qui est vert
alors au coin du feu il ne nous reste plus qu’à boire un bon verre
santé !