le café des amis


histoire vraie imaginée et racontée par jissé 

marcel le patron
l’albert le célibataire
la germaine au service
la simone la remplaçante
la violette et son chapeau
l’alphonse à l’accordéon
le jules le boulanger

introduction
je vais vous raconter une histoire
l’histoire d’albert,  de son ballon de saint saph et de son verre gobelet qui lui sert de confident
cela se passe quelque part dans ce pays au café des amis
mais je ne sais plus quand

1 c’est pas possible… et pourtant           
– c’est pas possible, l’albert ? s’exclame gobelet
– ouaih, comme je te le dis…lui, l’albert celui qui vient tous les jours et qui s’assied ici à la petite table ronde près du bar avec sa casquette et sa veste bleue, lui répond verràpied
– mais c’est pas possible… et comment tu le sais, toi ?
– j’ai entendu la germaine qui le disait  au marcel
– l’albert… tu te rends compte… mais qui aurait cru ça ?
– ça doit te rebouiller une telle nouvelle, toi qui le connaissait depuis si longtemps
– tu parles ! ça fait un bout de temps qu’on se connaît et qu’on se cause 
d’ailleurs il ne causait qu’à moi … en tout cas ce qu’on appelle « causer »
– mais t’as rien vu venir rétorque verràpied
– non… mais maintenant que tu m’y fais penser il y a bien quelque chose
il y a de ça quelques jours, c’était un samedi, quand il a commandé la deuxième tournée il a demandé un verràpied ! je m’en souviens car j’ai non seulement été surpris mais vexé
sans rien dire, il m’a écarté… moi son gobelet préféré
je te dis pas mon désarroi
là-dessus le silence s’installe… comme si quelque chose d’important était arrivé
c’est qu’il faut digérer une telle nouvelle et c’est pas tous les jours que cela arrive…
malheureusement…
on est au « café des amis »
il est vrai que dans ce pays, il y a beaucoup de « café des amis » mais celui-ci c’est le vrai avec de vrais amis qui viennent tous les jours au presque pour boire un café ou un godet, pour jouer aux cartes ou lire la « julie » ou pour dire bonjour tout simplement ou briser un bout de solitude
tout le monde se connaît, mais tout le monde ne se fréquente pas
chacun a sa table et a ses habitudes
germaine les connaît  toutes et tous
germaine c’est la sommelière 
il y a longtemps qu’elle travaille ici pour marcel le patron 
à peine entrer que t’entends le percolateur ou le tiroir à bouteilles, le bruit du plateau sur le comptoir ou le cliquetis de la caisse enregistreuse
en arrivant, ils prennent toujours la même chose en premier 
il y en a qui restent plus longtemps et choisissent alors de renouveler la compresse ou de remettre ça
le « café des amis » est situé juste avant le pont qui enjambe un espèce de petit canyon à la rue du pont qui mène de la place du marché à la place de l’église
devant l’entrée il y a une terrasse et un peu plus bas au bout de la cascade un torrent qui fait beaucoup de boucan surtout après la pluie
une cahute avec une porte vitrée pour voir s’il n’y a pas quelqu’un qui sort en même temps que celui qui entre signale l’entrée du café
le marcel l’a installée il y a quelque temps à cause de l’hiver qui profitait de chaque ouverture de la porte du « café des amis » pour y pénétrer apportant avec elle des flocons de neige et surtout des paquets de froid que les clients gueulent qu’on veut leur
donner la mort dans ce bistrot en les gelant et en leur donnant la maladie 
ou alors c’est pour vendre des cafés-chauffeurs qu’affectionne particulièrement le marcel car ils sont bons normal c’est lui qui les prépare avec un tiers de gnole fait maison et deux tiers de café
des fois, pour ceux qui allaient être malades qu’ils disaient, il inversait les doses
une fois dans la cahute, il y a le paillasson en coco avec tout plein de poils qui sont là pour arracher les saletés que tes semelles ont ramassées çà et là
il est de couleur brun-beige avec son mode d’emploi écrit dessus « essuyez-vous les pieds » et il assure son boulot  avec beaucoup d’efficacité
c’est qu’il connaît tous les modèles
il aime bien celles  qui sont comme des éclaffe-beuses qui ressemblent à des galions, la proue relevée et la poupe comme une grosse cheminée fermée avec une cordelette le plus souvent noire et dont les semelles font penser à une énorme mâchoire qui mord la chaussée et quand il y a de la neige qui laisse les traces de ces énormes molaires avec une petite croix qu’on sait pas à quoi elle peut bien servir
après deux ou trois raclages sur « essuyez-vous les pieds » il n’y a plus rien entre ces molaires 
les poils du paillasson ayant tout rupé ce qui y était coincé
des fois, elles n’ont pas de molaires, elles sont lisses et il n’y a rien à bouffer pour notre ami le paillasson
des autres fois, elles sont en deux parties une petite platte lisse qui a presque la forme d’un cœur et une autre très petite et fine qui est au bout d’une aiguille qui pénètre dans ses poils et lui font mal
il aimerait hurler, mais personne n’entend son cri qu’on dirait un râle comme un raclement de gorge
alors il se venge en se bougeant légèrement de côté et l’aiguillon perd pied tout d’un coup 
alors on entend crier « zut je me suis tordue la cheville… c’est à cause de ce foutu paillasson »
et pis encore « marcel tu peux foutre loin ce truc avant que quelqu’un se torde le coup ! »
mais marcel n’en fait rien et s’en fout
il pense que quand on veut rallonger ces guiboles avec des souliers comme ça et jouer à la grande dame on a qu’à apprendre à marcher avec 
une fois putzées, elles entrent au « café des amis » avec ce qu’elles supportent
une main potelée, grassouillette  mais puissante saisit la poignée dorée portant quelques traces d’usures, l’abaisse et pousse la porte qui frappe la clochette qui est suspendue au-dessus pour avertir qu’il y a quelqu’un qui entre
entre cette main potelée, grassouillette  mais puissante et le galion tout en bas, il y a un rude gaillard :
albert qui s’appelle
d’un pas décidé il va jusqu’à sa table où sa chaise l’attend avec impatience c’est que c’est un habitué l’albert
à peine assis, apportés par la germaine sur un plateau qu’elle tient avec adresse, un gobelet, un carafon rempli de saint saph du didier imhof, une soucoupe en plastique noire avec un petit ticket blanc dessus se posent en face de lui 
il est cinq heures comme tous les jours
de sa main potelée, grassouillette  mais puissante il soulève légèrement la casquette en la poussant un petit peu en arrière 
la germaine répond à son salut par un sourire plein de tendresse
ils se connaissent depuis très longtemps, depuis qu’elle a commencé au « café des amis » où il venait déjà avec son père quand il était apprenti et qu’il avait droit à une minérale  alors que son père comme lui aujourd’hui buvait trois
sa table c’est celle du « café des amis » mais c’est celle qu’il occupe quand il vient soit à midi pour l’assiette du jour soit à cinq heures pour les quatre chiffres
elle est petite, ronde et de ce fait plus discrète comme lui qui est aussi pas très grand et un peu en rondeur
elle a un seul pied avec trois doigts appuyés par terre
son plateau est en bois recouvert de formica noir
la chaise qu’il occupe est aussi en bois avec un dossier qui enveloppe bien le dos et qui sert de patère à sa veste de travail bleue en coton épais
celle-ci est propre car il ne la porte pas pour travailler mais seulement quand il sort
des poches de chaque côté où il met ses mains quand on l’arrête dans la rue pour lui causer et aussi une en haut à gauche un peu plus petite d’où dépassent des appendices de couleurs différentes
à l‘intérieur il y en a aussi une dans laquelle il met un gros étui noir qui fait un drôle de bruit quand il l’ouvre d’un coup et un claquement sec quand il le referme 
c’est son étui à lunettes
une fois celles-ci sur son nez, il saisit la « julie » après avoir bu une gorgée de son saint saph et un souffle de satisfaction c’est qu’il est bon ce saint saph
il va tout de suite à la page des morts aujourd’hui il ne connaît personne
puis les sports et enfin les chiens écrasés
– on ne vous a pas vu hier monsieur albert l’interrompt la germaine même qu’elle le connaît bien elle le voussoie des fois devant les clients
– c’est que j’ai été emmerdé pour la pose d’un portail que je livrais à un client
son bracaillon de maçon s’était planté avec les supports et j’ai dû bricolé un truc
d’ailleurs j’y retourne demain et puis après on a bu trois avec le client et sa femme m’a invité à souper
– mais demain c’est samedi ! s’exclame la germaine et on a le papet vaudois
– bah pour moi tu sais, il n’y a ni samedi, ni dimanche ‘y a que le boulot qui compte ! mais pour le papet je serai de retour à midi
– moi aussi je me suis inquiété lui souffle gobelet j’ai cru qu’il t’était arrivé quelque chose et t’es allé comme ça chez ton client ? 
– eh ! je travaille moi lui répond l’albert, je glande pas toute la journée comme toi 
– mais t’aurais quand même pu te raser, tu piques !
– tu vas voir si je pique et sa main potelée, grassouillette  mais puissante saisit gobelet et l’approche gentiment de ses lèvres
il est rude bon ce saint saph de son ami didier imhof
avec sa veste déposée sur le dossier de sa chaise, on peut savoir le temps qu’il fait
comme si c’était l’albert simon d’europe1 :
s’il a mis sa jaquette en laine tricotée à la main c’est qu’il fait froid
si on voit les bretelles et la bavette bleue de sa salopette sur sa chemise à gros carreaux c’est qu’ il fait beau
sa jaquette en laine tricotée à la main est un mélange de couleurs qu’on sait pas dire laquelle est la bonne mais il l’aime bien cette jaquette car c’est sa maman qui la lui a offerte et surtout tricotée
il y a aussi quelques trous et accrocs à cause de son travail à la forge
l’albert est forgeron comme son père, le père de son père qui avait créé la forge qui se trouve en face du « café des amis » de l’autre côté du canyon dans la ruelle de la cascade
sur sa salopette, on voit des traces de son travail 
on reconnaît le minium, la suie et parfois des éclats d’étain ou de plomb
elle est bleue et du même coton que sa veste
il y a aussi des poches de chaque côté 
dans la droite son tire-jus 
dans la gauche ses clés et en dessous un peu plus bas juste avant le genou une poche allongée dont l’ouverture est coupée en biseau dans laquelle il y a son mètre qui permet de mesurer deux mètres et qui dépasse de quelques centimètres
dans celle de derrière qui a un bouton il y a son claque-mouche qu’il sort maintenant 
il est noir 
il soulève la patte qui cache les différentes autres poches qui contiennent les pièces de monnaie, les billets de banque et des cartes en papier avec son nom dessus et en plastique avec celui de sa banque
de ses gros doigts il saisit quelques pièces qu’il dépose dans la soucoupe en plastique noir
il y en  a plus que le chiffre qui est imprimé sur le ticket, c’est que l’albert est généreux et il aime bien la germaine

2 il sort du café
il se lève, met sa veste, soulève légèrement sa casquette en signe de salut et s’en retourne à la forge
ce soir il n’a pas envie de pedzer même que c’est vendredi car demain il a promis d’aller finir la pose du portail
mais c’est pas la seule raison…
gobelet de retour à la douche explique à verràpied que l’albert avait un peu le bourdon ce soir
il vit seul depuis que ses parents sont partis et après le décès de son père il s’est beaucoup occupé de sa maman 
à cause de ça il a un peu couper les ponts avec ses anciens copains
de temps en temps le samedi en fin d’après midi on le voit partir du côté de la gare dans son costume du dimanche et il rentre tard en général même que des fois le « café des amis » est déjà fermé
– une fois, raconte gobelet, l’albert est arrivé juste avant la fermeture
il était gai et semblait heureux
il avait l’œil brillant et sentait bon il avait été joué aux cartes avec des copains à la ville qu’il disait…
tu parles, rigole gobelet, il avait encore la marque de la dame de cœur sur son col de chemise !

3 le marcel
derrière son bar, le marcel a retroussé ses manches
il fait ça chaque fois qu’il commence le boulot il dit que ça fait sérieux que cela montre qu’on bosse
il faut dire que ces manches sont bien remontées
il saisit d’abord les poignets qu’il retourne sur le tissu du dessus et encore et encore une fois en prenant bien soin de ne pas faire de plis
ainsi pliée la manche s’appuie juste à la charnière comme dirait l’emil steinberger
il est là tous les jours dès huit ou dès neuf heure
des fois il s’absente un moment le temps d’aller chercher ce qu’on a oublié de livrer pour la cuisine ou d’aller jusqu’à la poste pour poser du courrier
quand il y a peu de monde, il prend son temps même pour passer dire bonjour à sa germaine pas la germaine du « café des amis » qui est la sommelière mais la dame qu’il fréquente et qui tient le magasin de tricots qui est à côté du « café des amis »
depuis tout petit le marcel est un habitué du « café des amis » que ses parents tenaient à l’époque et qu’il a repris maintenant
il l’a tout refait y compris la cuisine qui est son domaine et sa passion
les clients aiment bien sa cuisine qui est simple mais toujours savoureuse
à midi il n’y a que l’assiette du jour en deux versions et le soir il y a une petite carte de mets mais une grande carte des vins
car le marcel est un fin connaisseur qu’il dit 
c’est vrai qu’il compte beaucoup d’amis vignerons dans la région 
il a mis leurs vins sur sa carte
chaque mois il fait une sélection de quelques vins blanc et rouge qu’il sert au verre 
mais c’est de la qualité bouteille qu’il aime à préciser
quand il a le temps il te raconte ses vins et cela te donne soif et surtout envie de les boire
alors c’est parti pour une petite dégust que des fois t’as de la peine à te relever de ta chaise quand t’as décidé d’aller te réduire en essayant de ne pas marcher de trabiole
ça fait rire le marcel et tout le bistrot qui se dit que t’en tiens une sacrée de canfrée
et de te plaindre que quand demain matin les petits nains tireront les tabourets au sommet de ton crâne tu t’en souviendras de cette petite dégust
des fois la germaine, pas celle du marcel mais la germaine la sommelière, dit qu’il exagère le marcel avec ses dégust qu’un jour il va bien arriver quelque chose à un de ces gaillards
mais elle prêche dans le désert et le désert ça donne soif
alors elle s’en retourne au bar essuyer les verres qui sortent de la douche et les remettre à leur place sur les tablars de l’étagère au bout du bar qui ressemble à une sculpture faite avec un tuyau en métal argenté et brillant qui fait les tours de tous les étages
cela contraste un peu avec le bois travaillé du bar mais c’est pratique
il y a toute sorte de verres qui sont alignés par taille et par grandeu
les verres sans pied, les gobelets et  les verràpieds les verres avec une jambe 
et puis il y en a quelques-uns qui ont une grande oreille sur le côté les verràthés
à l’autre bout du bar prône la caisse enregistreuse de couleur brun rouge qui est presque aussi haute que l’étagère à verres 
des touches sortent de son ventre qui actionnent des chiffres qui apparaissent dans une petite vitrine rectangulaire tout au-dessus
sur le côté il y a une manivelle qui une fois actionnée fait les calculs et crache par une petite fente sur le dessus du ventre un petit bout de papier avec des chiffres et une image avec le nom du « café des amis »
on peut s’accouder au bar debout ou assis sur des tabourets à grandes jambes
quand il a fini en cuisine et qu’il a fait un petit clopet le marcel se met derrière le bar et discute avec les clients tout en les servant et en trinquant avec eux
le « café des amis » n’est pas très grand mais qu’est-ce qu’il en a des amis

4 la rencontre
samedi, c’est jour de marché
de la place du marché à la place de l’église il y a des étales de toutes sortes 
des qui vendent de la viande, du poisson, des légumes, du pain, des pattes ou du petit chenit qui ne sert qu’à accumuler de la poussière
il y en a même des qui viennent qu’une fois car après avoir vendu leurs machins qui font des miracles à forces d’arguments sonores, ils se doutent que la prochaine fois ils ne seront pas féliciter surtout par les maris de ces pseudo-victimes et clientes
– mais il était sympa, il parlait bien qu’elles rétorquent pour leur défense
– ouaijh et surtout il avait de beaux yeux !
le long de la rue du pont, les étales sont placées d’un côté de la rue
quand l’albert était petit, les vendeurs de légumes étaient des paysans ou des maraîchers
ils arrivaient avec leur carriole tirée par un cheval
une fois déchargées les carrioles étaient rangées sur la place de l’église et souvent les chevaux étaient amener jusqu’à la forge pour changer leurs fers où ils étaient attachés à une grosse poutre supportée par des piquets tout en bas de la ruelle de la cascade qu’on appelait aussi la ruelle du crottin
la poutre portait les marques de leurs morsures
ils étaient bien là 
ils étaient au frais et à l’ombre comme les nombreux clients du « café des amis » qui avaient préféré rester sur la terrasse pour  boire un coup, prendre les dix heures ou manger l’assiette du jour
ce samedi-là la terrasse était pleine comme un œuf
une dame, élégante dans son costume rose et son petit chapeau de paille posé volontairement un peu de bizingue sur sa coiffe très bien peignée passe la cahute qui ne sert à rien car il fait beau et chaud avec son filet à commissions plein de victuailles achetées au marché  et entre dans le « café des amis »
toutes les chaises et les tables sont occupées
des gens attablés discutent avec passion du dernier match de foot vu à la télé ou des dernières nouvelles parues dans le julie
personne ne prend garde à cette nouvelle silhouette qui avance timidement
c’est que c’est la première fois qu’elle entre au « café des amis »
la germaine l’aperçoit et l’invite à entrer elle va lui trouver une place 
– c’est pour manger ou pour boire qu’elle lui demande
– d’une voix claire qui transpire l’éducation, elle lui répond que c’est juste pour boire un
thé
– pas de soucis attendez là je vous chercher une chaise et vous vous installerez à la table ronde là près du bar 
et monsieur albert est d’accord qu’elle dit tout haut pour qu’il entende
l’albert lève les yeux de sa « julie » qui marquent un temps d’arrêt
l’albert a une bonne bouille avec une peau halée et plissée comme celle des gens qui travaillent dehors par tous les temps 
c’est vrai que la grande porte de la forge qui permet aux camions d’entrer est presque toujours ouverte il faut vraiment un froid de canard pour qu’il la ferme
et puis il est souvent dehors à installer ici un portail, là une barrière ou même il va dans les fermes quand on l’appelle pour ferrer un cheval
sous des cils assez épais mais pas très sévères deux yeux bruns rieurs et curieux impriment tout ce qu’il y a tout autour de lui
un nez costaud, aux larges narines que d’aucuns disent en riant qu’elles sont si grandes c’est parce que l’air est gratuite mais c’est mal connaître l’albert qui est généreux de nature, semble soutenu par une bouche dévoilant des dents très bien entretenues et solides
même que c’est samedi il s’est pas rasé ce qui l’arrange car cela cache la rougeur de ces joues dues à cette présence inattendue à sa table
de temps en temps il quitte la julie et zieute discrètement en direction de cette magnifique créature comme le lui glisse à l’oreille gobelet
il découvre un visage bien sculpté comme ceux qu’on voit dans les magazines avec des yeux magnifiques de beauté qu’il n’arrive plus à lire sa julie 
l’abert a l’impression que la bavette de sa salopette bouge sous les coups de butoir que donne son cœur qui bat la chamade
il a chaud tout à coup et ses mains collent aux pages de la julie
il ne sait pas ce qu’il lui arrive
alors il boit un coup pour se remettre quand il est interrompu par gobelet
– eh ! t’en connaît beaucoup des comme celle-ci, t’as admiré le contenant qui souligne toutes les formes du contenu et le petit chapeau très original avec ces fruits de saison ? lui jette gobelet
– occupe-toi de tes oignons lui répond l’albert tout embarrassé
– allez, lance-toi, dis-lui quelque chose, demande-lui si elle a froid ou si son thé est trop chaud insiste gobelet
– ah ! fous-moi la paix veux-tu ! et puis je ne la connais pas je ne l’ai jamais vue alors…
elle est un peu gênée d’être entrée dans ce café toute seule 
elle n’en a pas l’habitude 
elle est plus à l’aise dans son tea-room surtout celui qui est à côté de sa parfumerie
alors qu’elle regarde tout autour le décor du « café des amis » elle rencontre le regard amical et discret de son vis-à-vis
elle s’y arrête un moment et sourit avec un peu de retenue
– je suis désolée de m’imposer ainsi à votre table mais il n’y avait plus de place et c’est la première fois que je viens ici
l’albert est comme transpercé d’un coup tous ses voyants sont au rouge 
que faire quoi dire ou que répondre
elle lui sourit encore
elle allait poursuivre quand enfin il se lance
– dites donc, ce filet qui couvre votre coupe de fruits là sur votre tête c’est pour éviter que les piafs les rupent ? qu’il dit tout à coup et tout doucement
elle a failli en lâcher sa tasse de thé 
elle n’imaginait pas que ce gaillard puisse avoir une voix aussi douce
elle n’a pas bien compris ce qu’il disait car il parlait pas très fort mais elle a compris qu’il parlait de son chapeau
pourquoi il s’excuse se demande-t-elle au contraire qu’il continue à parler
alors elle lui sourit puis elle éclate de rire comprenant enfin son allusion
– c’est bien la première fois qu’on me la fait celle-là finit-elle par dire d’un ton très joyeu
– je peux vous offrir un verre qu’il lui dit l’albert 
– volontiers et je prendrai comme vous, un verre de blanc

5 les souliers  
après un va-et-vient sur le paillasson elles se dirigent vers leur place favorite
elles y sont bien car depuis là elles peuvent observer tout le plancher du « café des amis » et tout en satisfaisant leur curiosité elles savourent leurs critiques
à peine rangées sous la chaise de l’albert pour ne pas gêner le passage, les deux eclaffe-beuses observent leurs voisins et débutent leurs commentaires
– t’as vu là-bas ces paquebots aux bouts carrés ? demande celle de gauche à celle de droite
– ouaih dis donc quand ils tournent ils doivent tourner en deux fois ? et puis tu te rends
compte pour briller tout ça la pétée de cirage qu’il faut ? 
et quand il neige tu dois patiner et quand il pleut t’es complètement trempe
– en face regarde ces bouts carrés c’est ‘y pas beau ? ouaih les rouges là-bas… pointus avec une grande aiguille derrière 
– ah oui je les vois … ben dis donc ils sont plus hauts que longs
– eh pis regarde les bouts carrés essaient de leur faire du pied et on dirait que ça marche !
tout à coup leur regard est attiré par un gémissement, une plainte
cela vient de là-bas au fond du café
– incroyable t’as vu l’état ?
– ils auraient intérêts à s’arrêter à la clinique de la chaussure au bas de la rue chez le gros gustave pour qu’il mette un biètse sur ce trou et qu’il leur fasse un service complet
je comprends pas qu’on puisse se laisser aller à ce point sans se soigner c’est pourtant pas compliqué ?
la jeunesse, elle a bon dos la jeunesse 
et quand tu vois l’état de ces pompes tu te dis qu’elles sont pas de toute première fraîcheur et qu’elles ont  quelques jours de marche
– ben moi j’te dis que son propriétaire doit faire du skate ou de la trottinette avec
– eh ! t’as vu juste à côté il y en a deux comme nous ?
– pas tout à fait comme nous 
regarde les formes on dirait que ce sont des godasses faites pour marcher pas pour travailler et puis elles ont des couleurs dessus tandis que nous on est tout noir fait pour la forge
– regarde l’autre en face … oui celui avec les pompons… t’as vu comme il a la tremblotte… c’est une grande nerveuse ou quoi ?
et l’autre là il fait la gymnastique… ou il bat la mesure ? 
– ben c’est normal ce sont des pantoufles de gym ou des baskets comme ils disent maintenant
– ouh làlà t’as vu ces grands tuyaux ? ça doit être pratique pour tracler dans les gouilles ?
– t’y es pas ! ce sont des bottes 
elles sont en générale portées par des dames pour souligner l’élégance de leurs jambes et pour ce qui est de tracler dans les gouilles c’est plutôt pour tracler au bar de « la poupée qui tousse » où on danse 
 il paraît qu’avec des bottes c’est plus sexy !
– eh t’as vu en face de nous… là juste à côté de nous… c’est bien la première fois que j’en vois de si près ici
t’as vu comme c’est beau, élégant, attirant…
– qu’est-ce qui te prends ? t’as jamais vu une paire de chaussures ?
– ouaih, mais pas comme celles-ci, elles sont rudement belles… j’aimerais bien que l’albert nous rapproche un peu
– ça va pas la tête ! tu te reprends… tu vois bien que ce n’est pas notre monde… d’ailleurs on ne les connaît pas on ne les jamais vues ici
– remarquées ici tu veux dire… t’as vu cette finesse, cette élégance et puis ca sent bon le cirage…
– si tu continues à les reluquer je te marche dessus !                          

6 l’assiette du jour
– c’est quoi l’assiette du jour ?
– celle qui est sur l’ardoise ! lui répond la germaine en rigolant puis elle ajoute : « saucisse à rôtir, sauce aux oignons, écrasées de pommes de terre  et salade du jardin »
– depuis quand le marcel a-t-il un jardin lui demande l’alphonse qui vient de s’installer au bar
– depuis qu’aligro en a un ! et avec ça qu’est-ce que tu bois ?
– trois de gamay …mais celui du poget, le pierre-yves des côtes de l’orbe
 en s’éloignant la germaine annonce « trois de gamay et une assiette » 
chaque jour l’assiette du jour est différente mais il y a toujours un bout de viande, un légume et une salade
et chaque jour de chaque semaine c’est le même thème : le lundi un rôti, le mardi une volaille, le mercredi du bœuf, le jeudi des pâtes, le vendredi un poisson, le samedi un plat exotique et le dimanche une broche
les clients aiment bien cette formule car ainsi ils viennent toujours pour leur plat préféré et repartent toujours enchantés
aujourd’hui c’est samedi, jour de marché mais aussi jour de concert 
enfin concert, n’exagérons rien, c’est plutôt l’alphonse et son accordéon
il est un des premiers à manger car après pendant que les autres mangent lui il joue des airs populaires que ça met de l’ambiance que des fois on se croirait dans un vrai concert tant il y a du chambard
et aujourd’hui c’est le cas car le plat exotique c’est la paella et on se croirait dans une corrida quand l’alphonse embrille les premières notes du paso doble
il y en a même qui chantent les paroles en trébuchant sur un mot ou deux ou font semblant de connaître les paroles en finissant les phrases et leur assiette avant de la saucer avec le pain du jules le boulanger d’à côté
de sa chaise l’albert suit tout ce qui se passe sur la terrasse car la grande vitrine a été ouverte
il est heureux d’entendre tout ce bruit et ces éclats de rire
il a le sourire car ça lui rappelle ses débuts à la forge quand le samedi comme apprenti chez son père il touchait sa paie et il venait au « café des amis » avec ses copains, le marcel, l’alphonse et le jules, faire les chenoilles, taguenasser et tchuffer les filles
il y avait la germaine qui débutait et très souvent ils restaient jusqu’à la fermeture du café pour boire un coup avec elle
à cette époque elle les aimait bien tous les trois enfin tous les quatre car l’albert ayant lui aussi fini d’aider ses parents au service les rejoignait
des fois, ils quittaient le « café des amis » pour aller danser au bal de la jeunesse dans le village d’à côté
ils y allaient en vélo et chacun à son tour prenait la germaine assise sur la barre ou sur le porte-bagage derrière
c’est vrai qu’à l’époque la germaine était une superbe bouèbe et elle ne manquait pas de prétendants
au bal, ils se la disputaient surtout quand il y avait des slows
mais elle préférait toujours ses anges gardiens, même si leurs ailes étaient quelque peu ébriquées
un soir, alors qu’un toyet insistait lourdement pour l’inviter à danser ceux-ci étant un peu chauds lui ont foutu une brossée qu’il est parti sans demander son reste
vexé il a voulu redzipéter ça au quidam qui était chargé de la sécurité
sans savoir ce qu’il lui arrivait il s’est retrouvé tout habillé et tout mouillé dans la fontaine
le quidam de la sécurité était le cousin de la germaine
et les anges de se tordre de rires

7 la germaine
la germaine s’affaire aujourd’hui c’est qu’elle a beaucoup à faire c’est encore samedi jour de marché 
la terrasse est pleine comme le café
heureusement elle a de l’aide c’est la simone sa jeune et jolie sœur qui coure d’une table à l’autre alors que la germaine a un peu plus de peine surtout quand il faut passer entre les tables
c’est à cause de sa bourse qui est dans sa poche ventrale couvert par un petit napperon avec tout plein de petits trous
on sait pas si c’est à cause de toute la monnaie qu’elle encaisse ou de la cuisine du marcel mais cette poche est presque à l’horizontale et se croche à chaque dossier de chaise 
mais les clients sont sympas et de bonne humeur alors ils volent à son secours en se passant les verres, les carafons et les assiettes
des fois il y a un maladroit qui regarde la simone et oublie qu’il tient une tasse de thé ou de café
tout le monde rigole sauf celle qui est arrosée de ce liquide bouillant et qui lui fait pousser une bouélée comme réponse elle doit se consoler avec : « t’as qu’à boire un coup, un vrai comme nous au lieu de prendre des boissons d’ailleurs ! »
et tout le monde rigole de bon coeur
et l’alphonse d’embriller « boire un petit coup c’est agréable… »
la germaine est aux anges ses clients sont heureux, il y a de l’ambiance et surtout ça marche tellement  bien que la vieille caisse enregistreuse est en train de s’essouffler
elle a de beaux restes même s’ils sont un peu arrondis
son visage respire la bonne humeur qu’elle a toujours et la joie de vivre 
elle porte presque toujours une jupe noire et une blouse blanche légèrement entre-ouverte pour montrer le crucifix en or qu’elle avait reçu pour sa communion
nombreux sont ceux qui aimeraient bien être à la place du gars qui a les bras en croix et dont les mains peuvent caresser la peau douce de sa généreuse poitrine sans se faire rabrouer
souvent elle plaisante la dessus en expliquant que quand elle prend une douche elle a toujours les pieds au sec
les clients l’aime bien car avec elle il n’y a jamais de problème
t’aime pas la garniture de l’assiette du jour, pas de soucis elle te rapporte une nouvelle assiette sans te faire profiter la bouélée de la cuisine
quand tu hésites en regardant la carte des vins, elle est toujours de bons conseils et si elle a un doute elle appelle le marcel mais là d’ici qu’il ait fini son explication tu te rappelles plus ce que tu voulais manger et ce que tu voulais boire avec, du blanc ou du rouge ?
comme c’est jour de corrida elle te propose un rosé celui de jean-jacques steiner à dully qui vient de gagner le grand prix du vin suisse et c’est pas la première fois qu’il gagne la médaille d’or à ce concours
– un œil de perdrix de la côte… tu rigoles ?
– déjà tu goûtes ça et après tu causes
-alors là chapeau ! t’as raison comme toujours, c’est tout simplement magnifique
– je t’mets cinq ?
– tu rigoles… une grande !

8 la violette
la violette n’était pas née ici dans le quartier
quand son mari fut décédé dans un accident elle est venue reprendre la boutique de la parfumerie et son ancien métier dans la rue neuve près de l’église
la violette est née et a grandit en ville
elle y a aussi été à l’école puis au collège  
c’est qu’elle est la fille du docteur pérusset
toute petite elle n’avait pas beaucoup d’amies encore moins d’amis à cause de sa mère qui était tellement fière d’être la femme du docteur qu’elle ne voulait pas que sa fille unique se lie avec n’importe qui et surtout pas à des enfants d’ouvriers
elle obéissait et très souvent on la voyait jouer tout seule dans le grand jardin qui entourait la maison familiale où le docteur consultait
un jour qu’elle voulait utiliser la balançoire qu’on avait installée et accrochée à la grosse branche du grand tilleul qui prônait vers les escaliers de l’entrée de la maison où il y avait une grosse plaque jaune sur laquelle il était écrit : « cabinet du dr pérusset – entrez sans sonner – salle d’attente au rez de chaussée » elle trouva un un jeune gaillard endimanché assis sur la planche tenue par deux grosses cordes et qui se balançait
– salut lui dit-il d’une voix douce, super cette balançoire
-non, continue seulement je l’utiliserai après toi
– j’attends ma mère qui est chez le docteur et toi t’attends qui ?
– personne, le docteur c’est mon papa
elle le revit plusieurs fois et avec plaisir à chaque fois
ils devinrent amis
puis la balançoire resta immobile
quelques temps plus tard, beaucoup plus tard, ils se revirent quand ils étaient au collège
souvent, le samedi après-midi, la fille du docteur qui avait bien grandi et pris des formes harmonieuses se promenait avec le fils du directeur du collège ce qui ravissait sa mère
et un jour, bien plus tard, ils se marièrent
avec son mari ils n’ont pas eu d’enfant avant l’accident
maintenant cela fait quelques années qu’elle tient sa parfumerie
ça marche bien elle a beaucoup de clientes qui apprécient ses conseils et sa gentillesse
elle est toujours bien mise et très élégante
nombreux sont ceux qui lui font la cour mais aucun n’a pu la convaincre elle a toujours refusé leurs avances
elle est heureuse avec ses clientes et ses clients et ça lui suffit de savoir qu’à chaque fois celles-ci ou ceux-ci seront satisfaits de ce qu’elle leur a vendu ou des conseils qu’elle leur a prodigués
quand elle fait ses courses au marché ou dans les magasins elle n’est jamais seule à tout bout de champ on l’arrête pour faire un brin de causette ou simplement pour lui dire bonjour
ici elle se sent bien, elle a été adoptée

9 l’albert  
on dirait pas mais l’albert c’est un rigolo en tout cas il l’était quand il était jeune
à l’école déjà il amusait la classe
c’est pourquoi le régent l’avait placé tout seul à la table droit devant le pupitre
car c’était une vraie batoill
il était copain avec toute la classe y compris les filles
en course d’école en train ou dans l’autocar tout le monde voulait être assis à côté de lui 
il était toujours de bonne humeur et avait toujours une histoire pour rire
le sport était pas trop son truc
il préférait regarder les  spectatrices que d’être regardé par les spectatrices
et puis onze gaillards qui courent après un ballon cela ne l’inspirait pas trop
puis il a dû aider son père et devenir forgeron
il aimait bien car les études c’était pas son truc non plus
l’albert était un manuel et fier de l’être
il a appris son métier sur l’enclume avec son père comme professeur qui lui a transmis tous les secrets que le père de son père avait transmis à son père qui les lui avait transmis à son tour
durant tout ce temps, il s’était consacré à son métier, à ses parents dont la santé déclinait et il lui en avait manqué pour continuer à voir ses camarades d’école qui pour la plupart avaient poursuivi des études à la ville
aujourd’hui, il en revoyait quelques uns de temps en temps surtout quand ils avaient de problèmes de portails, d’escaliers ou de barrières
ses amis aujourd’hui étaient au « café des amis »
et même s’il ne leur parlait pas toujours il aimait à passer du temps avec eux 
oh bien sûr il restait à sa table et eux à la leur, mais des fois ils échangeaient quelques paroles et cela lui suffisait
il est toujours de bonne humeur et dans la rue tout le monde le connaît et le salue
la germaine aussi l’aime bien et c’est réciproque
parfois ils sont seuls tous les deux dans le café, ils se causent, ils se confient 
c’est ainsi que la germaine compris que l’albert se sentait un peu seul parfois et que maintenant  sa famille c’était « le café des amis »
oh bien sûr il aurait bien aimé se marier surtout pour avoir des enfants car il aime bien les mômes
mais il y avait la forge et les parents et puis il se dit qu’aujourd’hui c’est un peu tard 
et qui voudrait d’un albert…
après un coup de saint saph, la nostalgie s’évanouit et l’albert a toujours un bout d’histoire pour redonner le sourire à la gemaine qui regrette tant le temps qui ne cesse de passer

10 l’enseigne
quand il eu finit son apprentissage son père a fait quelque chose que son père à lui n’avait pas fait pour lui
sur l’enseigne il a ajouté « & fils »
ce jour-là l’albert était vachement fier et heureux d’être enfin reconnu professionnellement par son maître de père
durant tout son apprentissage il se faisait souvent rabroué par  son père qui exigeait une qualité de travail au top
des fois l’albert en avait gros sur la patate et quand il pouvait s’arrêter au « café des amis » se confiait déjà à la germaine qui le consolait en lui disant que c’était pour son bien et qu’un jour il serait reconnaissant envers son père 
aujourd’hui il le sait et regrette de n’avoir pas pu assez remercier son papa mais chaque fois maintenant qu’il travaille dans sa forge il a une pensée pour lui et même des fois il lui parle et lui demande conseille comme s’il était toujours à ses côtés
il a conservé tous ses outils et même son grand tablier en cuir épais qui le protège des éclaboussures de fer incandescent 
cela fait des années que la renommée de la forge est connue dans tout le canton
maintenant ce sont les fils des pères qui venaient voir son père qui lui confient leurs travaux
l’albert est heureux mais se demande si un jour il devra effacer la mention « & fils »
– ben lui dit gobelet tu aurais dû y penser avant ou alors maire-toi à une de ces jeunettes
ou alors tu devrais prendre un apprenti que s’il est bon tu pourras le considérer comme ton fils ?
– tu sais que c’est pas con ce que tu me dis je vais y penser
– à la jeunette ?
– mais non crétin à l’apprenti
en attendant viens ici et verse-moi un peu de ce bon saint saph
-qu’est-ce qui te tracasse demande la germaine en s’approchant de sa table
– j’ai une idée qui me trotte dans la tête mais je ne sais pas comment faire répond l’albert
– allez, raconte
– j’ai envie d’engager un apprenti
– c’est une bonne idée mais tu sauras t’y prendre ?
– oh tu sais, j’ai bien retenu la leçon avec mon père ! je vais me renseigner et tu comprends c’est à cause de l’enseigne je vais pas effacer « & fils » !
– c’est vrai que c’est un peu tard pour te mettre à pouponner
– au lieu de dire des sottises apporte-moi trois

11 l’alphonse
l’alphonse est un enfant du quartier, comme le marcel, l’albert, le jules et la germaine
il y a aussi grandi, y a été à l’école, y a joué et fait la chenoille avec eux
plus tard il a travaillé le bois à la menuiserie pahud et fait partie de l’aurore, l’ensemble des accordéonistes du quartier
c’est là qu’il a connu les notes et rêvait de venir aussi célèbre que l’ yvette horner
en tout cas aujourd’hui dans le quartier on le dit aussi bon qu’elle
il adore jouer de son instrument surtout de voir le bonheur dans les yeux de ses auditeurs à l’écoute de ses gammes interprétées avec virtuosité et célérité et en plus il peut venir jouer et chanter au « café des amis » pour ses clients et pour sa germaine
l’alphonse est amoureux de la germaine 
il l’a toujours été et la voit en cachette
la germaine, l’albert, le marcel, l’alphonse  et le jules ont été à l’école ensemble et depuis le temps ils sont toujours restés amis, même un peu plus à une certaine époque quand la germaine a commencé à travailler au « café des amis »
ça amuse la simone quand elle voit sa tante se préparer et lui demander pour la cinquième fois en cinq minutes si elle sort car elle attend quelqu’un dont elle tait le nom par pudeur
cela fait pas mal de temps qu’elle a cédé aux avances d’alphonse
au début, ils se rencontraient chez l’alphonse qui habite un petit studio en dessus de la forge
l’albert, propriétaire de la maison, et son ami, lui fait payer un petit loyer qui correspond à ses petits moyens qui ne sont pas bien grands à cause de son accident sur un chantier qui lui a abîmé une jambe
pour arrondir ses fins de mois, il fait de petits boulots et anime la terrasse du « café des amis » le samedi
mais tout ça n’a pas atteint sa bonne humeur et sa joie de vivre surtout entouré de ses amis d’enfance
ils n’ont jamais voulu se marier soi-disant que c’est à cause de la petite ou des impôts 
ils ont bon dos les impôts ! mais en fait personne ne sait vraiment pas pourquoi et c’est la même chose pour l’albert, le marcel et le jules

12 la simone
la simone a le même rire communicatif que la germaine
elle est belle comme la germaine l’était
mêmes yeux marrons, même sourire généreux, même gentillesse
en fait la simone est la fille de la germaine et non sa sœur comme elle dit pour ne pas s’allonger sur le comment de la chose et l’identité du papa
on dit qu’elle a la gentillesse de l’albert, les talents culinaires du marcel, le nez du jules et la voix de l’aphonse
alors c’est qui son papa ?
l’albert, le marcel, le jules, l’alphonse ou bien ?
pour la simone ils sont tous ses tontons et semble-t-il elle est heureuse comme ça 
elle s’est contentée de l’histoire racontée par sa maman : son père est une rencontre d’un soir « au café des amis », mais quelle nuit
puis au matin, il était parti finir son tour du monde…
la germaine ne s’est jamais mariée et pourtant c’est pas les occasions qui ont manqué
le marcel non plus, comme l’albert , le jules et l’alphonse

13 jules le boulanger
il a été à l’école avec l’albert, le marcel, l’alphonse et la germaine
des fois il raconte deux trois aventures comme quand ils tiraient les sonnettes des gens à la rue du pont et qu’ils partaient en courant se cacher dans l’entrée d’en face
il faut dire que les gens devaient souvent descendre un étage pour répondre à la porte d’entrée
alors ça guelait et même certains allaient se plaindre à leurs parents
ils savaient qu’ils risquaient une bonne raclée ou la promesse d’une punition qui n’arrivait jamais
car leurs parents avaient autre chose à faire que d’être toujours derrières leurs rejetons
et puis ils n’allaient pas les engueuler pour quelque chose qu’ils avaient aussi faite pour s’amuser quand ils étaient enfants
des fois le samedi quand il pleuvait, ils allaient les uns chez les autres
un jour qu’il pleuvait des cordes le jules était allé chez l’albert pour jouer, raconte-t-il
l’albert avait reçu un meccano pour sa fête
ils avaient décidé de faire un téléphérique
une fois terminé, qu’allaient-ils faire de la cabine car ils n’avaient plus de pièces pour faire les pylônes
alors pour que ça ait l’air d’un téléphérique il faut que ça monte et que ça descende
un marteau, des clous 
un clou dans le bois de lit de ses parents et un dans le plancher car dans sa chambre il n’y a que du lino et des murs en pierre
mais le dernier coup de marteau sur le clou planté dans le bois de lit fut suffisamment fort pour faire pèter ce dernier et tout le bazar se retrouva par terre dans un chambard de catastrophe
arrivée sur le pas de porte la maman de l’albert lui a foutu une telle tourniquée qu’elle me permit de m’eclipser raconte le jules
le meccano, le marteau et les clous furent confisqués et tous les samedis nous les passions chacun de son côté à balayer la forge ou le laboratoire de la boulangerie

14 le secret
le marcel a engagé un cuisinier, alexandre un jeune type très bien qui est son neveu 
il a appris le métier auprès d’un grand chef et a été travaillé dans d’autres établissements pour se faire la main
aujourd’hui il est chef au « café des amis » auprès de son oncle
il aime bien la simone qui le lui rend bien ce qui fait plaisir au marcel et à la germaine
et ce n’est plus un secret puisque tous les amis du « café des amis » sont au courant 
un jour de marché, quand le « café des amis » était plein comme un œuf
le marcel annonce une tournée générale car il a quelque chose à annoncer et qui mérite une fête
tout le monde pose sa fourchette ou son verre et tourne le tête en direction du marcel pour voir si c’est pas une farce car c’est bien la première fois que le marcel offre quelque chose
tenant son verre à la main et attendant que la germaine et la simone aient rempli les autres posés sur un plateau, il se racle la gorge, appelle l’alexandre et demande à la simone de laisser le plateau et de venir près de lui
– la germaine finira de les remplir et de les distribuer qu’il dit
entouré de ses deux jeunes qu’il aime bien, même tendrement, il annonce qu’il a été chez le notaire, qu’il a remplit tout plein de papiers et que maintenant ce sont eux les patrons du « café des amis »
une tonne d’applaudissements accueillent cette nouvelle
mais le marcel lève le bras
il n’a pas fini
– et puis je crois que vous le savez déjà mais pour ceux qui ne le savent  pas encore ils vont se marier et je demande officiellement d’être le parrain de leur premier enfant !…
– eh bien nous serons quatre lance l’albert en entrant au « café des amis » tenant la violette d’une main et une bouteille de mousseux de l’autre !
– c’est pas possible, l’albert qui se marie ?! s’exclame gobelet
– comme je t’le dis répond verràpied


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